Pour l’égalité et la démocratie

Dans un ouvrage1 réédité en 2021, Anicet Le Pors et Gérard Aschieri dressent une perspective pour la Fonction publique : « renforcer, en s’appuyant sur les capacités des fonctionnaires, la construction de biens communs au bénéfice de chaque citoyen ».

L’amalgame des volontés néolibérales de réduction de la dépense publique et des stéréotypes du discours commun sur les fonctionnaires a pourtant fini par construire les représentations d’une Fonction publique inadaptée à la réalité du monde, peu efficace et égoïstement centrée sur ses soi-disant privilèges.

Pourtant, une longue construction historique a permis de fonder les services publics dans les finalités de l’intérêt général, cherchant à les protéger de leur détournement vers des intérêts politiques ou économiques particuliers. Elle a traduit cette volonté dans un statut sur lequel s’organisent le recrutement, la rémunération, la mobilité des agents et par lequel sont définis leurs droits et leurs obligations.

Voilà ce qu’il nous faut expliquer sans cesse : la raison d’être de la Fonction publique statutaire est une volonté politique de garantir l’exercice de l’action publique dans les principes d’une république laïque, démocratique et sociale.

Celles et ceux qui ne cessent de fustiger la Fonction publique et ses agents, d’instiller le doute sur la pertinence de leurs actions, de considérer qu’elles constitueraient un gaspillage financier font preuve d’une grande irresponsabilité politique. Ils sont prêts à détruire l’outil le plus essentiel dont nous disposions pour que nos valeurs égalitaires ne soient pas seulement des principes énoncés mais puissent devenir des réalités quotidiennes.

Pour l’égalité…

Nous avons oublié ce qu’était la Fonction publique avant les statuts de 1946 et 1983 : sa perméabilité au népotisme et à la corruption, sa fragilité face aux volontés politiques particulières ou aux intérêts financiers privés. Nous avons oublié que le recrutement et la révocation s’inscrivaient alors dans la logique de pouvoirs personnels et de favoritismes profondément inégalitaires. Nous avons oublié qu’un tel fonctionnement empêchait une professionnalisation pourtant indispensable pour répondre efficacement aux besoins des usagers.

Si la Fonction publique statutaire d’aujourd’hui ne satisfait guère les tenants du néolibéralisme, c’est justement parce qu’elle fait obstacle à leurs conceptions économiques basées sur la liberté croissante des marchés et la seule régulation de la concurrence. Il leur est difficile de tenir des propos cyniques qui justifieraient la fin de la Fonction publique par le seul intérêt de leurs profits. C’est pourquoi le discours néolibéral continue à affirmer le prétexte de la modernisation pour nous assurer que ses volontés de transformation portent l’ambition d’une meilleure efficacité.

Mais nous savons désormais, par l’expérience même des effets de cette transformation, qu’il n’en est rien : l’école et l’hôpital sont les témoins les plus évidents d’une dégradation dont les conséquences sont devenues manifestes. Sans doute, le pouvoir financier des plus riches leur permet-il de continuer à trouver satisfaction à leurs besoins par le recours à des services privés mais s’en contenter serait renoncer à la république sociale et à ses projets égalitaires.

« l’école et l’hôpital sont les témoins les plus évidents d’une dégradation…« 

Pour la démocratie…

Si le statut contraint le fonctionnaire à agir dans les perspectives de l’intérêt général, il vient aussi garantir contre une instrumentalisation de l’action publique au service d’intérêts politiques personnels ou partisans. Le principe, essentiel en démocratie, d’une Fonction publique au service de la mise en œuvre de la politique nationale ne peut être confondu avec un asservissement à des volontés ministérielles particulières.

Si le statut du fonctionnaire lui assigne les finalités de l’intérêt général, c’est à la fois par la contrainte de l’obligation et par la reconnaissance de l’indépendance.

L’obligation ne vient pas réduire le droit du fonctionnaire, elle lui permet de trouver les équilibres dialectiques qu’exige l’action publique en démocratie. Une Fonction publique asservie à la seule injonction et à ses variations successives ne pourrait assurer son principe de continuité. Elle serait rendue fragile et inefficace par l’alternance parfois contradictoire des instructions données ou par l’ignorance des nécessités guidées par la compétence professionnelle.

Si nous défendons l’indépendance, celle par exemple de la liberté pédagogique, ce n’est pas pour défendre le privilège de l’exercice de nos inclinaisons personnelles, c’est parce qu’elle protège les finalités démocratiques du service public. Cela nécessite bien sûr que nous en usions avec exigence. C’est pourquoi le statut affirme notre responsabilité.

Est-ce le fait d’une sidération face à la brutalité des réformes néolibérales, mais nous peinons à mobiliser pour défendre la Fonction publique y compris parfois en son sein même. Les alertes syndicales au sujet de la loi d’août 20192 ont été peu entendues et la conscience des menaces à venir reste faible.

C’est pourquoi nous devons, tant auprès des usagers que des agents, n’avoir de cesse de vouloir convaincre que la Fonction publique est l’outil le plus efficace pour mettre en œuvre notre république démocratique et sociale.

Paul DEVIN,
président de l’Institut de recherches de la FSU

  1. Gérard ASCHIERI, Anicet LE PORS, La Fonction publique du XXIe siècle, l’Atelier, nouvelle édition mise à jour, 2021, en vente sur le site institut.fsu.fr []
  2. Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la Fonction publique []
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