La question des effectifs en escalade

Intervention de J.P. Tournaire au colloque de Vienne (38) le 04 mai 2018

La circulaire du 19/04/2017 « Exigence de la sécurité dans les APPN dans le 2nd degré» répond à une demande exprimée dans le rapport de l’Inspection Générale de novembre 2016 sur le même thème.

S’agissant de l’ESCALADE ce rapport note que :

« La plupart du temps, un seul enseignant d’EPS intervient dans une classe qui peut atteindre 35 élèves. Un tel taux n’est pas raisonnable et n’existe que dans le champ scolaire. Les recommandations fédérales limitant à 8 le nombre de pratiquants… »

Et le rapport de l’IG préconise :

« Réduire le nombre d’élèves sous la responsabilité d’un seul enseignant lors de la pratique de l’escalade.»

… et insiste encore sur la nécessité d’une Formation Initiale  et Continue. Particulière en ESCALADE pour les enseignants d’EPS.

La circulaire du 19/04/2018 note d’ailleurs :

« Il convient d’inviter les enseignants à s’engager à évoluer avec des effectifs d’élèves réduits.

… et ce dans toutes les activités de Pleine Nature y compris l’ESCALADE. Il y a donc une reconnaissance de l’Administration et de l’Inspection pour considérer que la sécurité des élèves est liée à la question des effectifs. Sauf qu’aucune décision n’est prise pour les réduire laissant aux établissements les solutions à rechercher à trouver avec leurs moyens propres !

Ce qui aboutit à ce que l’annexe ESCALADE  «règle» cette question en indiquant :

« Le professeur doit adapter le nombre d’élèves simultanément actifs sur le mur à la configuration de la SAE, à ses responsabilités de contrôle et aux caractéristiques motrices et comportementales des élèves. » … et cette annexe précise, s’agissant des recommandations pour l’encadrement :

«  Le professeur finalise… par une ultime vérification visuelle et tactile réalisée par soins avant toute autorisation de grimper. »

…et encore :

« La simple surveillance à distance du respect de la bonne exécution du nœud d’encombrement est insuffisante… »

Dans le cadre contraint actuel, ces précisions ne sont pas anodines. Elles sont exigées et exigeantes dans le cadre d’une procédure précise, incontournable.

A notre sens, elles relèvent plus de l’injonction que de la  recommandation.

Cette contradiction se manifeste d’ailleurs dans les écrits issus du colloque de l’Inspection Pédagogique de l’EPS organisé par l’IG-EPS en novembre 2018 dans le cadre du PNF (Plan National de Formation), la mise en œuvre de la circulaire APPN étant l’ordre du jour.

Une commission ad-hoc composée d’experts a donc donné des réponses à un certain nombre de questions telle que : « Dans l’activité ESCALADE, avec toutes les consignes (annexe 1), le prof n’a plus le temps d’enseigner puisqu’il doit vérifier les nœuds (en permanence). »

La commission d’experts répond par l’image de l’enseignant jouant un rôle de tour de contrôle pour donner les autorisations de décollage, mais précise :

« …en reculant du mur… » .

Car évidemment, la tour de contrôle doit pouvoir contrôler l’ensemble de la situation !

Ainsi une contradiction apparait entre l’obligation permanente de vérification (en particulier tactile) des nœuds, et la nécessité de maitriser l’ensemble du fonctionnement de la classe et des actions des élèves, ce qui entraîne différents types de responsabilité pour l’enseignement :

D’abord responsabilité éducative. C’est ce que soulève d’ailleurs le rapport de l’IG en constatant :

« L’observation de l’enseignement collectif en escalade en EPS met également en lumière une dérive paradoxale : la centration quasi-exclusive des enseignants sur la gestion des compétences sécuritaires s’exerce au détriment des compétences liées à la motricité qui constituent pourtant la finalité de l’activité. » Tiens donc !

Ensuite responsabilité juridique :

Pour faire le constat que la contradiction entre ce qui relève d’une recommandation, et ce qui relève d’une injonction, d’une obligation,  ne renvoie pas à un débat abstrait.

En témoigne, le jugement correctionnel rendu en octobre 2013 à Grenoble, où, suite à un accident en escalade dans lequel la responsabilité d’un collègue était engagée pour une « faute caractérisée »,on peut relever dans les considérants du jugement.

« Considérant… que le courrier du Rectorat rappelant les consignes de sécurité, en date du 19 mai 2008 préconisait à l’enseignant de ne pas faire grimper une cordée sans vérification de l’encordement, n’était qu’incitatif :

« L’Inspection Pédagogique EPS invite les enseignants… » Qu’en l’espèce, l’enseignant avait clairement rappelé les consignes de sécurité, vérifié pendant la première partie du cours manuellement les nœuds…avant de laisser les élèves vérifier eux-mêmes le respect des règles de sécurité, en réalisant lui-même qu’un contrôle visuel des nœuds. » : Le jugement concluant ensuite à la relaxe de notre collègue.

Cette responsabilité juridique (pénale ou disciplinaire) est encadrée par l’article 11 bis A du statut général de la Fonction Publique :

« Les fonctionnaires ne peuvent être condamnés pour des faits non-intentionnels commis dans l’exercice de leurs fonctions, que s’il est établi qu’ils n’ont pas accompli les diligences normales, compte tenu de leurs compétences du pouvoir et des moyens dont ils disposent, ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi leur confie »

 En cas d’accident, la mise en cause de l’enseignant ne peut s’établir que sur des faits précis dont le caractère non intentionnel renvoie aux notions d’imprudence, de négligence, ou manquement à une obligation particulière de sécurité (Décret de 2004 sur le contrôle des EPI escalade).

Pour poursuivre pénalement, il faudra donc être face à une faute caractérisée.

De-même, doivent être établie les circonstances de la commission des faits.

Ainsi intervient la notion de diligences normales qui renvoie à un comportement du fonctionnaire attendu comme normal, raisonnable, incluant une certaine prudence et se traduisant par la mise en œuvre des moyens dont il peut disposer pour assurer, ici la sécurité.

Cela consacre l’obligation de moyens qui s’impose au fonctionnaire, et non une obligation de résultats.

Pour le fonctionnaire confronté à une situation accidentelle, il y a donc matière à se défendre, en s’appuyant en particulier sur les éventuelles insuffisances de moyens dont il dispose et qui lui sont imposées : les espaces, les matériels et particulièrement les effectifs d’élèves souvent trop importants.

  • Le SNEP-FSU propose donc aux collègues d’interpeller systématiquement leur administration, leur inspection en proposant, en revendiquant  des conditions d’encadrement mieux compatibles avec les exigences sécurité qu’ils sont seuls à-même de définir en tant qu’enseignants-concepteurs
  • Dans la perspective de la prochaine rentrée scolaire nous ferons des propositions dans ce sens afin que les collègues puissent renvoyer à qui de droit la responsabilité des conséquences provoquées par des effectifs trop importants dans l’enseignement de l’escalade, tant au regard de la sécurité des élèves, que de  la qualité de cet enseignement.
  • En même temps, le SNEP persiste dans sa demande de renégociation tant de la circulaire APPN (tout particulièrement sur l’incongruité des protocoles académiques) que de l’annexe ESCALADE qui devrait s’en tenir à des incontournables, des points clés pour assurer la sécurité des élèves, en évitant de valoriser telle ou telle conception de l’enseignement de l’escalade.

Et de plus à tous les niveaux nous devons promouvoir l’exigence d’une FI et C. des enseignants d’EPS.

En conclusion, je dirais que nous devons être, tous ensemble, très vigilants et actifs pour résister et combattre les réactions et les décisions  des  différents niveaux de l’Education Nationale qui se prennent, trop souvent ; en fonction de l’opinion publique, de certains médias avides de sensationnel, ou encore en fonction de certaines familles qui adoptent vis-à-vis de l’Ecole des comportements individualistes et consuméristes.

Jean-Paul.Tournaire@snepfsu.net

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