Par Gilles Renault
À quelques semaines de la fermeture des Universités, les organisations syndicales continuent de rencontrer le ministère de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, afin d’obtenir des informations et des arbitrages, de signaler les impensés de la réforme de la formation des enseignant·es… Nous allons ici faire un point sur les traits saillants de cette réforme avant de tirer la sonnette d’alarme ; l’autre danger de cette réforme, ce sont les risques psychosociaux pour les personnels.
La réalité du dialogue social
Disons-le tout net : le dialogue social installé pour cette réforme est inconséquent. 5 groupes de travail au printemps se sont succédé pour une rentrée quelques mois plus tard. Au-delà du calendrier intenable, la ministre de l’Éducation Nationale s’était engagée à tenir un Conseil Social d’Administration de manière à permettre aux organisations syndicales de mettre au vote des amendements. Il n’aura pas lieu, le ministère arguant qu’il n’en a légalement pas besoin.
Ce passage en force est lié à la volonté d’une reprise en main de l’employeur (le MEN) pour mieux formater le recrutement des enseignant·es. C’est une réforme idéologique de société pour faire glisser le métier d’enseignant·e concepteur·rice vers celui d’exécutant·e.
Le statut des lauréat·es, le stage en responsabilité, les nominations et l’engagement à servir
Le ministère a publié un décret en avril définissant les statuts des lauréat·es de concours ; élève fonctionnaire en M1 et fonctionnaire stagiaire en responsabilité à 50 % en M2. L’obtention du master Métiers de l’enseignement et de l’éducation (M2E), qui remplacera les MEEF, étant nécessaire à la titularisation.
Nous sommes contre l’utilisation des lauréat·es comme moyens d’enseignement. La charge de travail est extrêmement lourde pour les étudiant·es entre master et service, et nous allons voir que cela pose de réels problèmes sur les nominations. Nous avons dit et redit au ministère de penser les stages comme moyens de remplacement ou de baisser à 30 % le temps de stage. Mais le ministère s’obstine ; il a dévoilé en mai un système de nomination des lauréat·es. Et pour cause, le nombre de lauréat·es d’une académie n’est pas égal au nombre de postes berceaux de stage un an plus tard et au nombre de places en master M2E. Ceci implique des nominations possibles de lauréat·es dans une autre académie que l’académie de formation de licence. Ces mutations subies par de jeunes étudiant·es vont limiter le gain d’attractivité espéré par la réforme.
Ce décret met également en place une période d’engagement à servir de 4 ans. Nous ne pensons pas que dans une profession en difficulté d’attractivité, instaurer une obligation à rembourser une partie des revenus perçus pendant ses études soit une grande idée. Le texte du décret laisse un flou inacceptable sur les modalités de remboursement.
La licence LPE et les passe-droits
Le projet du ministère prévoit la mise en place d’une licence professorat des écoles (LPE) qui est envisagée comme la voie de formation de la moitié des professeur·es des écoles à moyen terme. Le ministère table donc sur l’ouverture de 5 000 places par les universités en LPE. La question de la répartition des places sur le territoire sera ici fondamentale, mais la sacro-sainte autonomie des universités est plus importante que l’égalité territoriale.
Plus encore, le ministère veut mettre en place des passe-droits pour les titulaires d’une licence LPE se présentant au CRPE. Il s’agit de dispenser des écrits ces candidat·es. Les notes de l’ensemble des candidat·es admissibles et ayant passé les écrits seraient remises à zéro avant le passage des oraux avec les étudiant·es LPE. Le ministère ne veut pas limiter les flux d’étudiant·es entre académies. Un·e étudiant·e en LPE dans une académie pourra passer le concours d’une autre académie ; les conséquences de ces passe-droits en termes de flux et d’équité nous semblent sous-évaluées.
Le SNEP-FSU revendique le fait que la pluralité des parcours de formation des PE est une richesse pour les équipes et met en avant la qualité des parcours mis en place dans les STAPS pour former les professeur·es des écoles. Nous tenons à ce modèle qui paraît bien attaqué par des passe-droits inéquitables et hasardeux.
Nous nous réjouissons de notre victoire quant au retour de l’EPS au second groupe d’épreuves du CRPE. Nous continuons de réclamer une épreuve pratique au concours.
Le nombre de postes : donnée clé indisponible
Une période de transition, à 2 concours L3 et M2 en 2026 et 2027, s’ouvre. Lors du dialogue sur la transition, le nombre de postes n’a jamais été évoqué par le ministère. L’administration n’a même pas voulu s’engager à donner une clé de répartition ( % de postes M2 et L3) entre les deux concours, se repliant derrière le fait que nombre de postes et clé de répartition dépendent du plafond d’emploi du budget 2026. Nous ne sommes pas prêts d’avoir le nombre de postes !
Nous réclamons depuis des années un plan pluriannuel de recrutement. Cette revendication est plus que jamais d’actualité. Nous rappelons que le ministère met au concours aujourd’hui un nombre de postes trop faible, il peut recruter en EPS un nombre de candidat·es bien plus important dans un vivier d’étudiant·es STAPS de qualité, ce qu’il se refuse à faire pour embaucher des contractuel·les précaires. Alors avec la réforme ? La réforme, coûteuse pour la rémunération des lauréat·es, ne doit pas avoir pour conséquence la baisse du nombre de postes de titulaires.
Une réforme sans moyens
Le ministère n’a obtenu de Bercy qu’une enveloppe de moyens pour 2025-2026 sans garantie de reconduite les années suivantes. Autrement dit il n’y aura pas de postes en plus. Les Universités ont besoin de postes, les heures en plus ne corrigent pas les copies !
Cette enveloppe correspond à 60 h pour 10 groupes dans 70 Universités du pays. Cet argent est à destination des universités qui décideront de son affectation. Les remontées de terrain qui nous arrivent sont extrêmement variables. Certains collègues ne savent pas si une enveloppe a été demandée, d’autres auront une enveloppe pour une partie de leurs groupes seulement et les plus chanceux·euses pour l’intégralité de leurs groupes de L3EM.
Les recalé·es au concours
Dans des disciplines comme la nôtre, les effectifs en licence sont très importants et le nombre de postes au concours beaucoup trop faible. Ce qui fait que la situation d’échec au concours L3 va concerner énormément d’étudiant·es. Le ministère indique que les universités pourront choisir ou non d’inscrire en M2E des non lauréat·es. Certains INSPE ont d’ores et déjà annoncé qu’ils n’accueilleront pas de non lauréat·es. Les INSPE qui le feront pourront-ils garantir aux étudiant·es une formation au concours en M1 M2E au regard des moyens faibles et incertains ? C’est toute une génération d’étudiant·es qui aujourd’hui, ne sait pas combien de postes elle aura au concours L3, mais sait très bien qu’elle comptera peu de lauréat·es. C’est une génération qui ne pourra que peu continuer en master M2E et devra se tourner vers les sociétés de préparation privées qui vont fleurir suite à l’abandon de l’université publique.
Le contenu du nouveau CAPEPS
Nous terminerons sur le contenu du CAPEPS L3. Avec 2 écrits et 2 oraux, le format est peu modifié. Par contre, il n’est pas acceptable de recruter des enseignant·es d’EPS sur une prestation physique tirée au sort, pour des questions de culture physique et sportive et d’équité entre candidat·es. Nous dénonçons ce choix sur les pratiques du nouveau concours.
Alerte : des risques psychosociaux très élevés pour les équipes
Les universités vont donc avoir à se positionner sur leur accueil ou non des non-lauréat·es en M2E, sur la distribution des enveloppes de moyens entre départements, et sur l’adaptation de leurs maquettes. Ces choix seront très contraints par les situations budgétaires malgré tout le verbiage ministériel sur « les choix locaux de territoire » et « l’autonomie des universités ».
Dans des STAPS encore plus sous-dotées que la moyenne de l’université française, où très peu de personnels peuvent faire plus d’heures, les équipes vont subir les choix des universités. Elles devront statuer entre adaptation au concours et préservation d’une licence générale reconnaissant des compétences dans le code du sport, entre sélection des étudiant·es au regard des enveloppes de moyens ou non, entre montage de DU ou de modules pour les recalé·es au concours ou non. Dans le même temps, ils devront maintenir une formation au concours en M1 et en M2.
Les responsables pédagogiques de licence éducation et motricité sont au cœur des arbitrages et se retrouvent face à leurs difficultés de construction des emplois du temps : disponibilité des vacataires, des salles, des installations sportives. Le tout pour une responsabilité pédagogique indigne, souvent autour de 20 heures.
Les personnels se retrouvent eux dans des dilemmes ingérables entre appel à se préserver et envie de former au mieux leurs étudiant·es. Envie de bien faire et impuissance face aux décisions des universités.
Les STAPS multiplient ainsi les facteurs de risques psychosociaux dans cette réforme : double concours, sous-encadrement historique, cohortes de licence très importantes, concours attractif.
En somme, les discours du ministère sur l’expertise des formateur·rices à mettre en place cette réforme se fracassent sur la réalité matérielle et humaine d’universités déjà déstructurées par les politiques d’austérité. Le ras-le-bol et le surmenage des collègues sont des impensés du ministère.
Nous disons aux collègues et aux équipes de prendre soin d’eux·elles. Le ministère de l’EN et de l’ESR nous met, vous met dans une situation impossible et à l’impossible, nul n’est tenu.