Les tests, une question ancienne…


Par Eric Donate

La thématique des « tests » n’est pas nouvelle, et n’est pas l’apanage du champ sportif en général et de l’EPS en particulier. Le petit Robert définit d’ailleurs les tests, au sens premier, dans une acception psychologique : Épreuve qui permet de déceler les aptitudes d’une personne et fournit des renseignements sur ses connaissances, son caractère, etc. Ainsi, dès le début du 20ème siècle, le calcul d’un quotient intellectuel est élaboré, et en 1905, l’Échelle métrique de l’intelligence est mise au point. Ces dimensions très quantitatives essaiment le champ de l’Éducation Physique comme en témoigne la trajectoire de la table Letessier créée en 1957, qui devient durant les années 1960 et suivantes le maître étalon des Épreuves Physiques et Sportives.

… Qui revient sur le devant de la scène :

Néanmoins, actuellement cette question des tests revient sur le devant de la scène EPS. E. Macron n’y est pas étranger, puisque le 4 septembre 2023, à l’occasion d’un déplacement à Orthez, il annonce le déploiement à la rentrée 2024 de tests physiques à destination des élèves de 6ème. Il fait ici écho à différentes lettres de rentrées des IA IPR EPS (Dijon, Créteil) incitant les enseignant·es d’EPS à réaliser des tests dans les établissements scolaires. De nombreuses équipes EPS n’ont toutefois pas attendu ces recommandations, mettant en place différents tests, visant à dresser un état des lieux du niveau des élèves. Cette dynamique répond sans doute à un besoin d‘objectivation de ce que la profession observe : un net recul pour ne pas dire un effondrement des capacités physiques de nos élèves. Il est à noter d’ailleurs que ces initiatives locales se développent au-delà du primaire et du secondaire. Ainsi Nicolas Pouplot, enseignant au STAPS de l’université d’Orléans, explique : « Nous essayons de développer une carte d’identité des qualités physiques […] pour discerner les points forts et les points faibles ».1.

Parallèlement à ces recommandations institutionnelles et à ces préoccupations professionnelles, un autre mouvement est à l’œuvre. Il a trait à une forme de mise en marché de l’EPS. En effet, dans le domaine marchand de l’entraînement sportif et de la préparation physique, nombre d’outils sont développés par des acteurs·trices privé·es. Méthodes, logiciels, applications, à destination de « testing » et de captation des données permettent de manière toujours plus précise et simple à la fois d’acquérir, compiler et traiter des données, puis de prescrire de manière automatique des exercices types, et même des progressions d’exercices types adaptés aux besoins du·de la sportif·ve. Ces acteurs·trices, en quête perpétuelle de nouveaux débouchés pour rentabiliser leurs investissements et maximiser leurs profits, voient en l’EPS un marché juteux… et à l’inverse, les décideurs·euses publics·ques voient en ces évolutions de nouvelles possibilités à développer en EPS.

Une apparente simplicité à l’EN…

Ces tests poursuivent donc tantôt un objectif de santé publique dans un contexte de recul de l’activité physique chez les jeunes, tantôt un objectif de performance à destination d’un public plus sportif (STAPS, entraînement, préparation physique). Ils s’appuient sur des outils qui promettent captation, agrégation et comparaison de données, au service de la constitution de bilans, comparaisons et tendances. Ces objectifs nécessitent des données avant tout quantitatives, porteuses en elles-mêmes d’une information et reposant sur la quasi-absence d’expertise pour relever et interpréter les données. Ainsi, sont « contrôlées » des données liées aux qualités physiques [vitesse (km/h), force (kgs), résistance (durée), souplesse (seuil de mouvement)] tout comme à la coordination (nombre de mouvements en un temps donné…). Logiquement, sont mises en œuvre des tâches simples, accessibles et reproductibles : elles sont donc dès lors prioritairement fermées et très codifiées ! Le site académique EPS de Créteil2est on ne peut plus explicite concernant les objectifs poursuivis : « Ces tests normalisés, identiques pour tous les établissements de l’académie, ont été étudiés et créés pour favoriser l’obtention de résultats suffisamment simples pour un retour immédiat des résultats vers les élèves, et suffisamment précis pour pouvoir observer les progrès de chacun d’entre eux, notamment dans les domaines de la force, de l’endurance, de la vitesse et de la souplesse, sous un format normalisé et un visuel facilement compréhensible pour les élèves, les collègues et les familles éventuellement. »

Mais des enjeux beaucoup plus lourds dans le secteur marchand :

Pour autant, il convient de ne pas être aveugle aux avancées en cours dans le secteur marchand, à vocation médicale et/ou sportive. Les promesses concernant les tests et les outils associés de captation de données développés y sont tout autres : l’accumulation sans précédent de données déployée à grande échelle (Big data) combinée à de lourds développements (et donc investissements) dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) sont actuellement à l’œuvre et ouvrent de nouvelles voies.

Deux logiques différentes se dessinent :

D’une part, l’aide à l’expertise et à la prise de décision, à l’image de ce qu’a mis en place la Fédération française de Rugby. Cette « augmentation » des capacités humaine par l’IA a été initiée sur la touche, phase cruciale de conquête (« composition, vitesse de libération, position sur la surface du terrain… »((https://www.lemagit.fr/etude/Le-XV-de-France-met-de-lIntelligence-artificielle-dans-son-intelligence-de-jeu)) ) et étendue par la suite à la mêlée, les rucks, le jeu au pied, les pénalités… Des modules sont ainsi développés et génèrent automatiquement des rapports prédictifs qui sont envoyés aux membres du staff du XV de France (nombre d’occurrences, durées des occurrences, zones d’occurrences sur le terrain…). Ils aident notamment à la structuration des séances d’entraînement sur chacune de ces phases. Pour autant, « Pour le sélectionneur, les analyses demeurent des outils d’aide qui sont à la disposition du staff. Les décisions importantes restent du ressort de l’humain. Par exemple, l’ancien demi de mêlée international ne fait pas d’analytique en temps réel. « Pendant un match, je ne me connecte à rien », « De même, la sélection des individus qui forment le collectif demeure la seule responsabilité du sélectionneur et de son staff, sans qu’il y ait besoin de faire intervenir des modèles algorithmiques. »

D’autre part et dans une logique quasiment opposée, l’automatisation du process de prise de décision. Il s’agit de passer automatiquement, sans intervention humaine systématique, de la captation d’information, de mouvement, ou de données associées, à la prescription d’exercices et de programmes. « L’intelligence artificielle a déjà commencé à dominer le secteur du fitness. Des ressources électroniques sont mises à la disposition des personnes pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs de fitness sans qu’une communication directe de personne à personne soit nécessaire », explique John Persico3. Que ce soit dans le secteur médical ou dans le secteur sportif, les logiques sont les mêmes. Activiti, société niçoise lancée en 2022 par exemple, a pour objet de « lutter contre la sédentarité qui constitue un véritable fléau de santé publique, par l’activité physique hyper-individualisée »((https://www.monaco-tribune.com/2023/03/activiti-quelle-est-cette-application-pour-faire-du-sport-depuis-chez-soi/)). À partir des réponses à un test d’auto-évaluation « Activiti génère un programme d’activité physique adapté, soit manuellement via un encadrant, soit par l’intelligence artificielle. L’individu découvre alors le contenu et le planning des séances sur son application. » D’autres applications se positionnent sur un versant purement sportif, telle l’application Flit.Run : « Avec tout ce que l’on sait faire en analyse de données d’entraînement et en planification, ça ne doit pas être bien dur d’automatiser la personnalisation de l’entraînement ! » « Il s’agit de récupérer des données brutes issues d’applications et matériels connectés, et d’en dériver à chaque séance des marqueurs, définis par les sciences du sport puis analysés et interprétés automatiquement par les briques d’IA et de planification. »((https://flit.run/technologie/))

Ainsi, ce sont bien deux mouvements, qui dessinent et font naître de profondes inégalités à venir : à une logique élitiste, qui vise à enrichir la prise de décision humaine au service de la performance dans un contexte de haut niveau d’expertise, s’appose une logique de masse, basique, standardisée, qui vise à effacer l’être humain au profit d’une interface homme machine toujours moins onéreuse (contraction des services publics) et plus profitable (mise en marché des services publics).

Il est intéressant de croiser ces tendances aux politiques publiques actuelles qui s’imposent, à l’Éducation nationale notamment. Concernant la question des tests, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, il s’agit de prendre garde au modèle de métier, d’école, et de société que l’on risque, à notre corps défendant, de contribuer à construire à travers leur mise en œuvre sans réflexion poussée.

La question de la place laissée à l’humain et de la professionnalité  ?

Le projet de Loi de Finances 2024 s’inscrit dans une politique globale d’austérité à laquelle l’Éducation Nationale ne fait pas exception. Ce sont ainsi 2 500 postes qui seront supprimés sur l’année 2024. La question de l’investissement dans la valeur humaine est donc posée… et elle fait directement écho à nos constations précédentes concernant les avancées technologiques en cours dans les outils de testing… et le rapport à l’humain qu’elles peuvent générer, entre suppression et augmentation de l’expertise humaine. Les tests, tels qu’ils sont actuellement déployés institutionnellement, peuvent faire craindre une minoration de la professionnalité des enseignant·es, via les dimensions simplistes, fermées et mécanistes que nous avons pointées. Le site académique EPS de Créteil((https://eps.ac-creteil.fr/spip.php?article1356)), encore lui, indique ainsi que les tests visent à « aider chaque élève à développer sa pratique en fonction de ses capacités réelles, grâce notamment à la discipline EPS. » Nous voyons que le lien est ici fait entre élève, test, pratique, EPS… et nulle part n’apparaît l’enseignant·e. Il s’agit d’un risque d’accentuation du phénomène de dé-disciplinarisation mis en avant par C. Couturier, et que nous développions dans les programmes alternatifs : « une EPS utilitaire car progressivement éloignée des savoirs technico- tactiques culturels signifiants au coeur des APSA… mise au service de la contribution à des grandes finalités transversales, de santé, de citoyenneté, d’écologie, qui ne trouverait progressivement sa légitimité que dans un rapport d’accompagnement et d’amortissement de crises successives culturelles, sociales, économiques, sanitaires. »((Programmes et certifications en EPS : construisons ensemble des alternatives ! 2023)). La dé-disciplinarisation, poussée ici à son paroxysme, efface l’enseignant·e d’EPS.

Un néolibéralisme autoritaire : savoirs fondamentaux, mise au pas des enseignant·es, évaluation et tri à tous les étages :

À cette logique de réduction du périmètre des services publics, s’associe notamment une volonté de mise au pas des enseignant·es. Forts de notre statut de fonctionnaires de catégorie A, nous sommes attaché·es à notre fonction de « concepteurs·trices » d’un enseignement. Or, dans une acception purement néolibérale de type lippmannienne, le pouvoir politique développe une action publique autoritaire, invasive et normative comme l’a bien décrit Barbara Stiegler((Barbara Stiegler – Il faut s’adapter ! Sur un nouvel impératif politique, 2019)). L’Éducation Nationale n’y échappe pas, et il en va de plusieurs mouvements.

Savoirs fondamentaux

En premier lieu, l’affirmation de la prévalence des savoirs fondamentaux chère aux ministres successifs de l’Éducation Nationale, entre autres exemples J.M. Blanquer et son « lire, écrire, compter », ou G. Attal et son « choc des savoirs fondamentaux » qui permettra de « franchir une étape majeure pour le niveau des élèves », le français et les mathématiques étant « les savoirs qui permettent tous les autres »4. Il est utile de relever ici la confusion entre ce que J.P Astolfi((J.P. Astolfi – La saveur des savoirs, Disciplines et plaisirs d’apprendre, 2021)) nomme « l’abrégé » qui « fonctionne comme un coupe faim, qui dispense d’investissements intellectuels lourds », et « l’élémentaire » qui permet « d’envisager la culture commune comme un tremplin », et « consiste en une mise en bouche ». Il est ici un quasi-miroir avec la vision développée par le rectorat de Créteil et ses tests et résultats « normalisés », « simples », « immédiats », « facilement compréhensibles ».

Mise au pas des enseignant·es

En second lieu, la mise sous tutelle des enseignant·es sur le volet des méthodes pédagogiques. SI G. Attal l’a évoquée lors de son allocution le 5 octobre 2023 à l’occasion de la Journée Mondiale des Enseignant·es, c’est sans doute la note de l’institut Montaigne5, très proche du pouvoir en alimentant les cabinets ministériels, qui est la plus explicite sur la question de la remise en question de la liberté pédagogique. Ainsi, l’institut reconnait que, si cette liberté pédagogique « permet aux professeurs de choisir les méthodes pédagogiques et exercices qu’ils souhaitent pour s’adapter à la diversité et aux profils de leurs élèves. […] Une réflexion sur le rôle des inspecteurs, non plus tant dans leur rôle administratif mais en tant que véritable tuteur des enseignants par le partage des meilleures pratiques pédagogiques et un accompagnement personnalisé paraît donc nécessaire ». Les causes de la baisse des résultats aux études internationales ne seraient pas à chercher du côté de l’effondrement de la formation initiale, des attaques contre la formation continue, des effectifs par classes en perpétuelle augmentation bien au-delà de la moyenne des pays de l’OCDE, mais du côté des méthodes pédagogiques mobilisées par les enseignant·es : « l’idéologie prend souvent le pas contre les enseignements de la recherche ». Ici encore, ces propos fonctionnent en miroir avec les tâches simples, accessibles, reproductibles, fermées et normées que proposent souvent les tests et qui s’imposeraient aux enseignant·es, au motif de leur nécessaire reproductibilité et comparaison que ce soit entre catégories d’élèves à un instant T, ou dans le temps.

Évaluation et tri

En dernier lieu à l’adresse des enseignant·es, ou des élèves, se déploie actuellement une volonté d’évaluation, d‘objectivation (avec tous les biais que cet affichage comporte), à dessein de sélection, orientation, en un mot : évaluer pour trier ! Le rapport de l’Institut Montaigne est explicite à ce sujet concernant les enseignant·es : il s‘agirait de favoriser une valorisation individuelle des carrières sur la base du mérite, identifié par la soi-disant capacité de l’enseignant·e à faire progresser ses élèves. Ainsi, « le système d’évaluations nationales introduites durant les premières années de scolarisation pourrait offrir le support nécessaire à une affectation plus adéquate des enseignants, eu égard aux besoins des élèves. C’est dans cette logique que les évaluations nationales pourraient prendre tout leur sens. Car il est techniquement possible, à partir d’elles, de mesurer la valeur ajoutée de tel ou tel paramètre de scolarisation ». La même logique implacable s’appliquerait aux élèves : « Eu égard aux difficultés inhérentes induites par le collège unique, une réorganisation systémique devrait a minima reposer sur trois piliers » dont « la diversification des parcours, afin de mieux répondre aux besoins et aux capacités des élèves à partir d’enseignements plus approfondis et plus opérationnels ; la personnalisation des parcours ». Ces réflexions sont reprises à son compte par G. Attal, toujours à l’occasion de la Journée Mondiale des Enseignant·es : « Est-ce qu’il ne faut pas réfléchir au moins pour ces matières fondamentales à une organisation plus modulaire du collège, à une organisation pour ces matières par groupe de compétences ou de niveau qui permettrait de faire progresser davantage ceux qui arrivent au collège avec le moins de bagage et de permettre à ceux qui sont arrivés au collège avec un bagage important de continuer à s’élever et à progresser ? » Question rhétorique, puisque, les méthodes de conduite des politiques publiques de ce gouvernement nous ont, à de multiples reprises, démontré que lorsque la question est posée, la réponse est souvent déjà actée. Les tests, tels que développés actuellement, font ici encore écho à cette actualité politique : l’annonce d’E. Macron de développer les tests à l’entrée en 6ème pour la rentrée scolaire 2024, fait système avec cette analyse et promeut un système scolaire catégorisant, comparant et sélectionnant l’être humain.

Pour autant, les tests ne pourraient-ils pas être un outil pour la profession ?

Nous l’avons vu, le déploiement de tests en EPS peut mener dans de nombreuses impasses si nous n’y prenons pas garde, que ce soit envers la discipline elle-même, les enseignant·es ou encore les élèves. Pour autant, conscient·es de ces dérives potentielles, faut-il fermer sans conditions les écoutilles ? Rien n’est moins sûr !

Nous nous situons dans un contexte de recul de l’activité physique, associée à une augmentation du temps de sédentarité. Ce mouvement est d’autant plus fort depuis la pandémie de COVID-19. En témoigne la méta-analyse de l’université d’Adélaïde((Grant Tomkinson, University of South Australia, Adelaïde, 2006 et 2013)), recoupant 50 études menées entre 1964 et 2010, et évaluant l’endurance de 25 millions d’enfants âgé·es de 9 à 17 ans, issu·es de 28 pays (riches pour la plupart) à partir de la distance parcourue en un temps donné (entre 5 et 15 minutes) et le temps d’effort pour parcourir une distance donnée (800 mètres à 1,6 kilomètre). Il en ressort un effondrement des capacités aérobie de 25 % depuis les années 1970 environ, à 2013, date de la dernière étude. Ainsi, en 1971 il fallait à un·e collégien·e en moyenne 3’ pour courir 600 m contre 4 en 2013. Depuis la COVID-19 est passée par là…

Plus encore, L’observatoire des inégalités, volet des pratiques sportives, rappelait en 2022 que « Si les 2/3 des Français âgés de 15 ans et plus déclarent avoir pratiqué une activité sportive au cours des douze derniers mois […] cette moyenne cache des pratiques différenciées selon le niveau de diplôme, la CSP et le niveau de vie » : « 88 % des titulaires d’un diplôme supérieur à bac + 5 ont eu une activité sportive, contre 39 % de ceux qui ne disposent pas de diplôme » ((L’observatoire des inégalités, volet des pratiques sportives, février 2022)).

Face à cette situation (recul de la pratique chez les jeunes et très fortes inégalités d’accès ) et à la mobilisation d’acteurs médicaux ou du champ sportif pour dresser un état des lieux, les enseignant·es d’EPS, garant·es du service public d’Éducation Physique et Sportive en France, ne devraient-ils·elles pas être les interlocuteurs·trices référent·es privilégié·es ? Ne sommes-nous pas, où ne devrions nous pas, être les plus légitimes à expliciter le niveau de sportivité, le niveau de condition physique de la jeunesse française ? Dès lors, quels outils permettraient de le faire ?

La notion de test, au sens large, et sous des formes diverses pourrait en ce sens permettre d’avancer. Le SNEP-FSU, notamment via les programmes alternatifs, est porteur d’une EPS adossée à des savoirs fondamentaux… mais dans une acception différente de celle portée par le pouvoir politique actuel. En un mot, l’EPS est pour nous l’étude pratique pratique des APSA. L’élève doit, acquérir les « fondamentaux », au sens de « constitutifs » de ces APSA : des savoirs technico-tactiques, dont seule l’étude ordonnée, guidée (par un·e enseignant·e d’EPS formé·e), et systématique permet l’acquisition. S. Joshua((S. Joshua, l’École entre crise et refondation, 1999)) évoque la notion de « savoirs hautement techniques » et nous sommes bien loin des savoirs étriqués et minimalistes évoqués jusqu’à présent. Ainsi, les tests revêtiraient des caractéristiques qui pourraient s’éloigner de ce que nous avons jusqu’à présent observé : signifiants culturellement, ils s’appuieraient sur des tâches complexes qui nécessiteraient un haut niveau d’expertise pour être interprétées et rendues lisibles aux élèves et à leurs familles.Pour s’y retrouver : le déploiement de tests pourrait se dérouler dans le cadre d’un arbitrage de tensions philosophiques

Nous pensons souvent au côté pratique du principe de tests, mais il ne faut pas oublier qu’il pose des questions lourdes qui sont souvent masquées voire oubliées. Au plan philosophique et in fine politique, sans faire de grandes démonstrations, la mise en œuvre de tests s’inscrit dans des tensions ou contradictions qu’il convient d’avoir à l’esprit.

Universalisme et relativisme

Le test ou les tests posent le problème de la norme et de l’échelle à laquelle on veut faire référence : universelle, nationale, régionale, locale… Le test sera-t-il produit à l’échelle de l’Europe (tentative Eurofit dans les années 90), de la France ou encore d’un département voire d’un établissement. Le principe d’un test sous-entend donc le choix d’une norme à laquelle on va confronter les élèves. C’est antinomique par exemple avec celles et ceux, en EPS, qui prônent l’idée de performance (un résultat à un test est toujours une performance, une mesure à un moment « t ») auto-référencée. Si chacun·e est sa propre référence, alors il est inutile d’envisager quoi que ce soit « d’extérieur » à l’individu. La mise en place d’un test (quel que soit son contenu) est toujours prise dans une tension forte liée à la détermination de cette norme.

L’illusion de la mesure comme recherche d’objectivité

Nos sociétés sont totalement dominées par l’idée que tout se mesure. Et que cette mesure serait un gage d’objectivité. Tout se quantifie. Cette course un peu folle repose sur l’idée que le chiffrage de quelque chose lui donne une existence objective. Or, lorsqu’on rentre dans le détail d’un test lambda, rien n’est moins sûr : qui a bâti le test et pourquoi, est-ce le bon choix d’épreuves, pourquoi mesurer telle ou telle chose… ? La part de subjectivité est déjà présente en amont du test, elle joue sur la motivation de celui ou celle qui passe le test, et ne parlons même pas de l’interprétation des résultats. Un test est là encore toujours pris dans une tension entre objectivité/subjectivité qu’il faut décrypter dans chaque cas précis.

Culture et nature

Enfin, une dernière tension porte sur la nature de ce que l’on va mesurer. En EPS particulièrement ou dans l’activité physique plus globalement, les tests ont souvent eu la prétention de mesurer des qualités ou des aptitudes « naturelles » : force, vitesse… ou censées être au cœur d’une pratique : Vitesse Maximale Aérobie (VMA), Puissance Maximale Aérobie (PMA), etc. Or, en EPS par exemple, on a plus de chance de voir des élèves ne pas vouloir courir par manque de motivation ou de goût à l’effort qu’à cause d’une VMA trop faible. La question de la pertinence de ce que l’on veut tester est donc primordial. Et surtout, pour quoi en faire ? Actuellement, la pression vers des tests « basiques » vient plus probablement du milieu médical que du milieu éducatif. Mais dans tous les cas, la construction de tests doit sans doute sortir de l’illusion que les résultats pourraient donner à l’école des perspectives intéressantes. L’exemple de ce qu’il se passe dans d’autres disciplines (tests Blanquer) pourrait a minima nous alerter et nous interroger.

Une tentative d’exemple pour contextualiser et ouvrir le débat

Nous l’avons observé, les performances réalisées à plusieurs endroits du monde durant 25 ans sur une tâche de 600m constituent un résultat de test utilisé pour analyser l’état des capacités cardio-respiratoires des jeunes de 9 à 17 ans. Cette tâche apparemment objective, simple et reproductible dans le temps et l’espace, embarque pour autant des dimensions a minima socioculturelles et de genre : le travail réalisé par l’observatoire des inégalités (2022) que nous avons rapporté montre bien que le rapport à la pratique sportive étant fortement déterminé par des appartenances sociales, culturelles, et économiques, le résultat du test ne peut être réduit à des dimensions physiologiques et cardio-respiratoires.

Dès lors, au motif diversification des parcours identifié précédemment, le glissement vers une naturalisation des résultats, support légitime à une catégorisation et sélection est grand. Ainsi, catégoriser les élèves sur la base de ces tests, c’est naturaliser un résultat et entériner une inégalité de départ qui est masquée par ce test apparemment « objectif ». De même évaluer les enseignant·es sur la base de leurs capacités à faire progresser les élèves en lien avec des résultats à ces tests, c’est évacuer une part importante des déterminants sur lesquels ils·elles n’ont pas prise. Enfin, piloter les moyens affectés à un établissement, sur la base une fois encore des évolutions des élèves à ces tests, c’est entériner un « donner plus à ceux qui ont déjà plus »… et « moins à ceux qui ont moins ». Le pilotage par les résultats a montré ses limites aux USA !

Ainsi, ne peut-on pas imaginer sur ce registre d’une tâche de demi-fond, un test encapsulant les savoirs culturels fondamentaux constitutifs de cette APSA ? Proposer une tâche de confrontation, par groupes de 5 élèves de niveau homogènes, sur une distance de 600m par exemple, nous permettrait de recueillir une donnée quantitative (performance en minutes) permettant un état des lieux dans le temps, mais également intégrant les savoirs construits et/ou à construire au cours des enseignements à venir : l’abri dans un peloton, le placement dans un peloton, l’attaque d’un peloton etc. La lecture qualitative des résultats de ces tests à un instant T permettrait d’orienter l’activité de l’enseignant·e pour les leçons à venir. La comparaison dans le temps des résultats à ces tests, en les croisant avec diverses données recueillies par exemple dans le cadre des IPS), permettrait plus encore d’augmenter les capacités d’analyse et d’expertise et ainsi pointer les réelles corrélations entre facteurs socioculturels, de genre, éléments de sportivité et niveau de condition physique de notre jeunesse, et leur évolution dans le temps. Ceci constituerait un support riche pour mener une politique de lutte contre les inégalités. Il en irait bien ici d’une démarche « d’élémentation » qui permettrait « d’envisager la culture commune comme un tremplin », bien au contraire de test de 600m qui, une fois terminé est lui susceptible de « dispenser d’investissements intellectuels lourds », pour reprendre J.P Astolfi.

Pour conclure

Le cheminement quant au positionnement en équipe face à ces tensions, constitue tout à la fois une réappropriation de son objet de travail et une résistance à l’injonction permanente néolibérale. Il est en soi un repositionnement de l’acte éducatif dans le temps long, au service d’une vision émancipatrice des élèves, en contradiction avec un regard naturalisant. Loin de tester pour figer, c’est-à-dire faire entrer dans une catégorie et un cursus préétabli, l’enjeu serait de tester pour guider et réguler au service d’apprentissages ambitieux. Il en va d’un acte politique face aux enjeux sociétaux actuels !

  1. La République du Centre – 21 Septembre 2023 []
  2. https://eps.ac-creteil.fr/spip.php?article1356 []
  3. Fondateur et directeur de la série Sports Tech World (STWS), https://www.ispo.com/fr/news-marches/limportance-des-communautes-dans-le-sport []
  4. C à Vous vendredi 6 octobre 2023 []
  5. École, Om concentrer nos efforts, septembre 2023 []
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