Droit de retrait

Nous invitons tous les collègues à prendre connaissance avec attention des réflexions que nous ont adressées Me Frédéric WEYL et Elise TAULET, avocats du SNEP-FSU sur l’exercice du droit de retrait dans le cadre du Covid 19 et la perspective d’un déconfinement.

Procédure…
Avertir – par écrit - le Recteur (ou le Vice Recteur) et le Chef d’établissement de sa
décision d’utiliser le droit de retrait en caractérisant précisément la situation de
danger grave et imminent, en demandant d’y remédier, et en exigeant une réponse
écrite est une procédure individuelle. Ainsi, chaque personnel, devra indiquer – sur son
courrier - ses nom, prénom, fonction exercée, dater et apposer sa signature.
Si plusieurs personnes se retrouvent au même moment et dans la même situation de
danger grave et imminent, il peut être envisagé qu’un même courrier caractérisant avec
précision la situation de danger grave et imminent soit adressé aux autorités concernées
avec obligation expresse que chaque personne concernée soit dûment identifiée
(sur le courrier) par ses nom, prénom, fonction exercée et sa signature.

L’exercice du droit de retrait par les acteurs de la communauté éducative dans le cadre du Covid 19 et la perspective d’un déconfinement
par Frédéric Weyl et Elise Taulet, Avocats, membres du cabinet WTAP Avocats

Les approximations, incertitudes et revirements qui accompagnent les annonces entourant un déconfinement et une réouverture progressive des établissements scolaires, les affirmations changeantes et peu documentées sur la contagiosité des enfants, sont autant d’éléments qui conduisent à s’interroger sur la possibilité pour un agent de « faire valoir son droit de retrait »

Pour les uns, ce serait le palliatif dont chacun pourrait user pour la préservation de sa propre sécurité sanitaire, et dès lors une réponse adaptée à une situation de flou particulièrement inconfortable ; pour d’autres, ce serait une façon, pour celui qui en userait, de fuir ses responsabilités et de refuser de se sacrifier à l’intérêt général et à l’effort collectif nécessaire
pour remettre la Nation sur ses rails, ce qui justifierait que soient sanctionnés ceux qui oseraient y recourir.

On notera d’abord que les questions posées par la réouverture des établissements scolaires ne concernent pas la sécurité des seuls enseignants, mais aussi celle des personnels administratifs et d’entretien, des usagers, des élèves, de leurs parents, et de leur environnement : l’école serait-elle le seul lieu dans lequel on puisse oublier la nécessité de casser les chaînes de contamination, pour opposer le devoir des uns au volontariat des autres ? La réouverture des établissements scolaires ne pose donc pas seulement la question des risques de danger dont les enseignants devraient se prémunir, mais de leur devoir de ne
pas être les instruments d’une mise en danger d’autrui.

Cela oblige ensuite à quelques rappels de principe de ce qu’est le droit de retrait, des conditions dans lesquels il peut être envisagé d’y recourir, et à risquer quelques réflexions dans les circonstances incertaines et évolutives que nous connaissons qui pourront frapper d’obsolescence le lundi une analyse exprimée le vendredi.

L’article 5-6 du décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique pose le cadre juridique du droit de retrait des fonctionnaires :
« I. – L’agent alerte immédiatement l’autorité administrative compétente de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité
qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation. »

Il en résulte que l’exercice du droit de retrait est individuel, que l’autorité administrative ne peut demander à l’agent de reprendre son activité si le danger grave et imminent (DGI) persiste, et qu’aucune sanction ou retenue de salaire ne peut avoir lieu si le droit de retrait est exercé régulièrement. Une limite importante à ce droit de retrait est à connaître mais elle ne semble pas applicable à la situation actuelle des enseignants : le retrait d’un fonctionnaire ne peut créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent.

Mais il en découle aussi et d’abord que le droit de retrait n’est pas par essence la réponse adaptée à une situation générale bien connue de l’autorité administrative supposée compétente, dont il serait d’autant plus inopérant de l’y alerter qu’elle est supposée la connaître, au point d’en être l’organisatrice.

La proclamation d’un état d’urgence sanitaire traduit bien une situation de risque, qui n’a pas de précédent, y compris faute d’avoir jamais été juridiquement proclamée.

L’exposition à un risque de contamination est aussi une certitude, dans la mesure où il est acquis qu’aucune disposition de protection ne prémunit personne contre la réalisation de ce risque ; quand on se rappelle que l’employeur est tenu à l’égard de ses agents d’une obligation absolue de sécurité, on peut s’interroger sur le compromis qu’il y a à vouloir imposer une
reprise d’activité sans que cette obligation de sécurité absolue soit assurée, comme une obligation de résultat doit l’être.
L’exposition au risque de contamination constitue donc bien un danger, d’une réelle gravité dès lors que les conséquences peuvent être particulièrement sévères voire fatales.

L’imminence de ce danger est plus difficile à cerner, parce qu’elle dépend de l’adéquation des dispositions prises pour protéger d’un risque quand bien-même celui-ci est indiscutable. Il serait donc hasardeux, en l’état, de ne motiver l’exercice d’un droit de retrait que par une référence générale et non circonstanciée « au risque de contamination », « à la situation de
pandémie », ou aux insuffisances des règles de natures à assurer la protection des individus.

Et même si l’avis du Conseil scientifique publié le 23 avril 2020 a considéré qu’il aurait été raisonnable de ne pas rouvrir les établissements avant septembre, il tempère cette « raison » médicale par une autre « raison », d’intérêt général sinon d’Etat: on ne peut donc exclure qu’un Juge Administratif juge déraisonnable une position individuelle allant à l’encontre de la raison d’une autorité administrative entourée de ses armées de conseils scientifiques ….fussent-ils contradictoires.

Encore que ces pistes ne soient pas à négliger dans l’hypothèse où il faudrait justifier un droit de retrait exercé un peu trop rapidement, il faut donc explorer la piste de l’appréciation concrète, au cas par cas, des mesures prises pour pallier ce risque. En effet et de façon plus générale, l’existence du seul risque ne conduit pas à reconnaître un DGI : c’est au regard des mesures prises pour pallier ce risque que se caractérise un DGI.

Il faut donc identifier concrètement si les mesures sanitaires de protection édictées contre le Covid 19 sont suffisantes, et si les mesures envisagées sont effectivement mises en œuvre dans les établissements. C’est à l’aune d’une réponse négative à l’une ou l’autre des ces deux questions que pourra se poser la question de l’exercice d’un droit de retrait.

Quelles mesures de protection ?

Par nature, l’appréciation sur l’existence d’un DGI et l’efficacité des mesures de protection doit être faite au cas par cas. C’est d’autant plus important dans les circonstances actuelles où il apparaît que les mesures sanitaires puissent se décider localement.

L’exercice du droit de retrait ne doit pas constituer une grève déguisée visant à exiger des moyens de protection ou des mesures sanitaires, au risque d’être considéré comme irrégulier.

C’est au regard de l’ensemble des fonctions et des interactions des fonctionnaires que la situation de DGI doit être considérée : relations avec les élèves, avec les collègues, avec les parents etc…

A ce jour, de nombreuses interrogations demeurent.

Parmi les mesures dévoilées, seule l’absence d’ouverture des lycées constitue une mesure de protection efficace.
Le maintien en télétravail des enseignants présentant des risques de santé pourrait aussi constituer une mesure efficace pour ces derniers mais il faut définir ces risques puis une procédure permettant aux fonctionnaires de faire valoir leur vulnérabilité tout en respectant le secret médical.

Le recours au volontariat est une mesure de protection des élèves qui n’iront pas à l’école mais pas des fonctionnaires qui devront travailler. Cette mesure traduit d’ailleurs le peu de confiance de l’Etat dans l’efficacité des mesures qu’il entend mettre en œuvre.

Les recommandations publiées par l’Académie de médecine le 23 avril 2020 et celles du Conseil scientifique constituent une boussole des mesures sanitaires à mettre en œuvre.

Quelle mise en œuvre des mesures de protection ?

Même à considérer que les mesures décidées soient considérées comme suffisantes, encore faut-il qu’elles puissent être mises en œuvre et que leur mise en œuvre soit garantie, effective et contrôlée.

Se pose alors la question des moyens matériels en masques, en savon, en agencement des locaux, en désinfection etc….

Se pose aussi la question de la sanction du non-respect des mesures notamment par les élèves ? Que faire face à un élève qui refuse de porter un masque ? Les règlements intérieurs des établissements ne prévoient pas une telle hypothèse : seront-ils adaptés dans d’aussi brefs délais ou empêcheront-ils toute sanction ? Doit-on envisager un engagement solennel,
écrit, des élèves à respecter les mesures sous peine de sanction ?

Mais il faut aussi être attentif et se prémunir contre le zèle d’une administration très empressée à se couvrir dans l’édiction de règles dont la mise en œuvre pratique serait impossible, ou renvoyée à la seule responsabilité des agents : il faut donc que les mesures proposées soient réalistes, compatibles avec l’exercice des fonctions considérées dans leur ensemble, et n’impliquent pas des sujétions telles que les agents ne pourraient raisonnablement les mettre en œuvre.

Comment exercer son droit de retrait ?

Se trouver dans une situation de danger grave et imminent n’est donc pas une hypothèse théorique.

L’agent qui entend exercer son droit de retrait alerte immédiatement l’autorité administrative compétente, généralement le Recteur sous-couvert du chef d’établissement.

C’est en réalité sa seule obligation.

Il est hautement conseillé de le faire par écrit et de manière circonstanciée notamment sur l’insuffisance des mesures ou de leur mise en œuvre. Il peut également consigner son droit de retrait au registre de santé et sécurité au travail de l’établissement.

Il peut également en alerter un membre du CHSCT qui pourra alors mettre en œuvre les procédures d’alerte et d’enquête des articles 5-5 à 5-8 du décret du 28 mai 1982.

Il faut relever que contrairement au droit de grève qui implique une cessation complète des fonctions, l’exercice du droit de retrait peut s’accompagner d’un exercice partiel des missions confiées : il est donc conseillé à l’agent d’indiquer qu’il se tient à la disposition de son administration pour exercer les missions qui peuvent l’être dans des conditions qui ne le mettent pas en danger (télétravail, corrections, suivi d’orientation…).

C’est à l’administration de « donner les instructions nécessaires pour permettre aux agents, en cas de danger grave et imminent, d’arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail ».

Y a-t-il des risques à exercer son droit de retrait ?

Ce n’est que si l’exercice du droit de retrait était considéré comme irrégulier que l’agent pourrait s’exposer à une retenue sur salaire, voire à une sanction, à savoir s’il était considéré que :

  • le danger grave et imminent n’était pas caractérisé : en pratique, plus les mesures sanitaires seront complètes, moins le DGI sera caractérisé ;
  • le système de protection n’était pas considéré comme défectueux.

In fine, c’est au juge administratif qui appréciera la légalité ou non de l’exercice du droit de retrait.

Les jours non travaillés seront alors retenus sur le traitement de l’agent, ce qu’il pourra contester dans le cadre dans un recours administratif et/ou un recours juridictionnel.

La possibilité que des poursuites disciplinaires soient engagées ne peut être exclue mais paraît assez risquée pour l’administration dans le contexte actuel.

Quant au risque d’une radiation pour abandon de poste souvent invoqué comme épouvantail pour tenter d’empêcher l’exercice du droit de retrait, cela supposerait d’abord que l’agent soit préalablement mis en demeure de reprendre ses fonctions sous la sanction d’une telle radiation des cadres, et n’y défère pas : on imagine mal l’Administration s’y égarer….

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