Par Pascal Anger
Le secteur Enseignement Supérieur du SNEP-FSU a rencontré, comme il le fait régulièrement, la FFSU le 11 avril lors d’une réunion en visio. Cette rencontre s’est faite en présence du président de la FFSU (Cédric Terret) et de son trésorier national (Jean-Francois Froustey) – le Directeur national (Xavier Dung) étant excusé, et pour le SNEP-FSU de Gilles Renault, Samuel Lepuissant, Maxime Espoune et Pascal Anger.
Ces rencontres ont pour objectif d’échanger, de débattre sur nos problématiques respectives liées entre autres au développement de la démocratisation du sport de compétition dans la vie universitaire ainsi que sur la situation des personnels portant les missions de service public, ceci au regard du contexte global du sport et de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) dont le budget, …
Nous avions proposé pour l’ordre du jour de manière non exhaustive :
- Un CR rapide de notre enquête sur l’état des lieux sur les AS dans les universités (cf. sur notre site le CR)
- Un questionnement sur le nouveau modèle économique concernant la prise de licence et fin du contrat licence.
- Comment la FFSU voit l’avenir et ses choix à travers son objectif « Une fédération agile dans la gestion de ses ressources financières et RH »
- Comment la FFSU tient la tension entre nécessité de la bifurcation écologique (dont la sobriété) et le développement- démocratisation des compétitions sportives (cf. les propositions FFSU pour la mandature 2024-2028). (Le sujet n’est pas simple y compris pour notre activité syndicale.)
- Le sujet du voile (hijab) dans les compétitions sportives universitaires
- le e-sport
Nous avons eu des échanges cordiaux et très direct sur nos façons de voir les choses.
Nous n’avons pas eu le temps de traiter le e-sport et nous avons effleuré le sujet de la bifurcation écologique et celui sur le port du Hijab en compétition. Nous avons à ce sujet saluer la position de la FFSU à travers son président de non-exclusion des étudiantes sur ce sujet.
Tout d’abord nous partageons toujours avec la FFSU nombre de ses engagements figurant dans son programme de mandature 2024-2028 avec ses 5 chapitres et adoptés très majoritairement par ses adhérent·es.
Nous avons tous réaffirmés l’objectif partagé de démocratiser culturellement la pratique de la compétition universitaire officielle à tous les niveaux de compétition, ceci du débutant à l’expert pour les étudiants·es et dans le cadre des valeurs universitaires, éthiques et humanistes.
Au terme de ces échanges, il résulte, pour le SNEP-FSU, 3 points de désaccords sur la politique interne menée par les instances nationales de la FFSU. Ces 3 points font système et fragilisent à terme la mission de service public, le développement des AS et la démocratisation de la compétition au bénéfice des étudiants·es au sein des universités.
A/ Quelques éléments de contexte de la FSSU et des AS pour situer nos désaccords
Avant de détailler ces 3 points, nous rappelons quelques éléments du contexte pour La FFSU. Elle est sous la tutelle du MESR et en convention avec JS. Elle a un statut de type associatif loi 1901 avec une délégation de mission de service public.
Son président·e est élu·e par le comité directeur, contrairement à l’UNSS où c’est le.a ministre de l’EN qui est de droit président·e. Idem les AS dans l’ESR ont des présidents élus·es qui sont parfois des étudiants·es, souvent des enseignants·es d’EPS et rare y sont des présidents·e d’université. (cf. notre enquête).
Cette fédération a « pour objet de promouvoir et d’organiser la pratique de la compétition sportive amateur pour les étudiants des établissements d’enseignement supérieur (Universités et Ecoles), du niveau régional au niveau international. »
Ajoutons le contexte des moyens. Nous sommes conscients des contraintes budgétaires allouées par le MESR pour financer les 36 fonctionnaires détachés vers cette fédération plus deux par Jeunesse et Sport. Cette dotation du MESR pour subvention pour charge de service public (« SCSP ») est de 5,6 millions (ms) dont 4,3 de masse salariale dans le projet de loi de finance ( PLF) 2025. Cette dotation ne bouge que très peu chaque année (voire pas entre 2024 et 2025). Elle ne compense même pas l’inflation ni l’augmentation du point d’indice de 2023 par exemple. Surtout cette dotation est sous dimensionnée par rapport aux finalités et objectifs assignés à la FFSU par les politiques publiques.
Cette SCSP finance actuellement 36 fonctionnaires en «détachement », mis à disposition par le MESR comprenant essentiellement des enseignants·e d’EPS. Il y a aussi deux professeurs·es de sport délégués par le ministère Jeunesse et sport (MJS) actuellement. Soit 38 au total. Nous reviendrons sur ce point dans le choix politique de la FFSU d’élargir le vivier de recrutement hors EPS et renouvellement des détachements.
Enfin comme dit dans le rapport d’activité (RA) de 2023, « à cet effectif de permanents·es, (détaché·es, salariés, contrat en alternance, services civique,…), « s’ajoute les bénévoles des AS, des enseignants·es d’EPS des SUAPS-GE /STAPS/INSPE qui participent à l’encadrement, à l’accompagnement des équipes, l’organisation, la logistique des compétitions,…, Ils représentent une force vive primordiale à l’assise de la FFSU… »
Effectivement les AS dans les universités ne fonctionnement que grâce à l’engagement des enseignants·es d’EPS dans les SUAPS-GE, STAPS et quelque peu dans les INSPE (mais la moitié des postes EPS a été divisée par deux dans les INSPE -plus que 110 collègues titulaires !). Mais leurs « bénévolats » a des limites. Cet engagement est peu valorisé (y compris par la règle des 2/3 du décret Lang). Pas de forfait AS reconnu et intégrer dans les 384H (très très rare) dans les universités. Le plus courant reste un forfait d’HC ou de paiement à l’acte (1/2 journée, journée) pour ceux-celles qui s’engagent
Et ce que nous percevons entre autres par notre enquête, tout au moins dans les universités, c’est le manque d’attractivité et de légitimité universitaire (entre autres par leur présidence) donnée aux enseignants·es qui s’engagent pour faire vivre les AS. Et même là où les AS sont bien installées (minoritaire dans notre enquête) celles-ci voient des grosses difficultés apparaître. Dans beaucoup d’AS et donc surtout celles qui sont déjà en difficultés, et face aux choix cornéliens à faire, la motivation des enseignants·es engagées se trouve minée de plus en plus.
Rappelons aussi que sur les 113 935 licenciés (RA 2024) seulement 46% sont des étudiants·es issus des universités, les 54% restant viennent des écoles et autres. Ces 46% représentent 51577 étudiants·es soit 3,2 % des effectifs étudiants·es des universités. Les licences féminies de la FFSU représentent autour de 34% du total des licences.
Certes la FFSU ne peut guère faire plus avec les moyens dont elle dispose, mais certains choix qu’elle fait là avec ses moyens, sont discutables à notre sens. Nous pensons que cela va aggraver ou à tout le moins ne pas relancer des dynamiques de développement des AS dans les universités. On ne parle pas pour les écoles ici. D’autres choix pourraient être fait, moins préjudiciable selon nous aux missions et personnels qui les portent. Ces choix nous amènent aux 3 points de désaccord.
Nos désaccords portent sur un glissement vers une logique de type new management public (NMP).
- Le nouveau modèle économique mettant fin au contrat licence remplacé par la licence individuelle.
Nous avions évoqué dans le bulletin sup n°1025 le risque d’un sport U à « deux vitesses », pouvant se schématiser par d’une part, des compétitions comme outils de visibilité des Universités et Écoles avec les SHN et SHNU et d’autre part, des animations des campus, événements ponctuels ou de district pour le reste des étudiant·es sportifs·ves qui resteraient en marge de la dynamique sociale d’un projet compétitif sur l’année. Ce modèle fait émerger l’idée d’avoir des « vrai·es licencié·es » et des vrai·es compétititeurs·rices. Pour certaines AS, c’est la casse des dynamiques de démocratisation, de massification. Et pour d’autres AS d’un point de vue financier, sans aide de leurs universités, elles doivent choisir qui licencier pour assumer le coût des déplacements vers l’atteinte du haut niveau national ou international.
- « La gestion des Ressources humaines (RH) » et la diminution des enseignants·es d’EPS dans les détachements à la FFSU ?
Il y a 38 fonctionnaires détaché·es à la FFSU dont 8 à la Direction nationale. Notre inquiétude s’est portée sur le fait que, cette année, 3 collègues sur les 30 détaché·es au sein des Ligues Régionales, comprenant les Directions régionales,(soit 10%), ont vu leur contrat de détachement non renouvelé. Cette décision a été prise de manière unilatérale par la présidence de la FFSU et la direction nationale. Ces contrats de détachement, généralement d’une durée de 3 ans renouvelable, mais qui peuvent être interrompus à tout moment à la discrétion de l’employeur, ici le président de la FFSU, rendent cette situation administrative précaire. (Ajoutons aussi qu’un.e collègue d’une DR a choisi d’arrêter son détachement à la rentrée 2025.)
Au-delà des situations individuelles, cette orientation politique sur les non-renouvellements interroge.
D’une part sur la manière unilatérale et les motivations justifiant la fin du détachement qui peuvent porter atteinte à l’intégrité professionnelles des collègues. Collègues qui doivent être défendu·es dans le cadre de la défense de leurs intérêts moraux et matériels. D’autre part, demeurent aussi le sujet de la redistribution ou du devenir de ces postes (ou supports) et du recrutement de nouveaux·elles collègues.
Les collègues non renouvelé·es font part de leurs déstabilisations et/ou sentiment d’être mal traité·es. Le fait de se voir signifier leur inadéquation ou « non-conformité » avec leur poste ou la politique demandée, sans véritable débat contradictoire laisse un goût amer. Un·e des collègues remercié·es s’était même vu confier depuis 6 ans une mission de politique publique sur l’héritage éducatif des JOP 2024.
Nous n’avons pas de point de vue pour apprécier les choix propres que doit faire la FFSU pour redistribuer, ou pas, des moyens en termes de postes de directeur·rices régionaux en fonction des besoins, car nous ne possédons pas les éléments suffisants. Néanmoins, ces supports de postes (financier) devraient être renouvelés par des recrutements pour soutenir le développement du Sport-U.
Un nouveau choix politique dans les nouveaux recrutements en détachement ?
Depuis quelques années, la présidence de la FFSU par ses commissions de recrutement élargit son vivier de recrutement de détaché·es à d’autres fonctionnaires que celles ou ceux du corps de catégorie A des profs EPS ou agrégés EPS. Dans 3 régions, un·e professeur·e des écoles (PE), un·e professeur·e d’autres disciplines et un·e chef·fe d’établissement (ex prof EPS) ont été recruté.es. Au total sur 38 collègues détaché·es, dont 2 détaché·es par le ministère jeunesse et sport (hors dotation MESR), on compte 33 enseignant·es d’EPS, dont 27 sur 30 en ligues.
Pendant l’entretien, le président nous annonce que d’autres personnels non EPS seront probablement recruté·es.
À l’occasion des recrutements pour 4 postes de DR ouverts à la rentrée 2025, 1 enseignant·e non EPS a été recruté·e face à des candidatures EPS ainsi que 3 enseignant·es d’EPS.
Dès lors, à la rentrée 2025, 32 enseignant·es d’EPS seront détaché·es à la FFSU. Ce qui nous inquiète, ce n’est pas que des non-enseignant·es d’EPS soient recruté·es mais d’en connaître les proportions pour les années à venir. (Y a-t-il une réflexions sur un quota minimum d’enseignant·e d’EPS (E.PEPS) sous lequel ne pas descendre) ; Car si de moins en moins E.EPS, c’est de voir une culture professionnelle se distendre, un réseau d’enseignant·es d’EPS concepteur·rices, spécialistes des APSA et de la démocratisation des pratiques sportives s’étioler, un lien aux autres acteur·rices de cette culture EPS en STAPS/SUAPS-GE/INSPE diminuer…
Ajoutons à cela que la masse salariale de la dotation du MESR est, depuis cette année, globalisée, comme pour les universités. Cette souplesse obtenue sur la masse salariale permet de transformer un poste d’agrégé·e ou d’un·e prof EPS en recrutement de 2 postes de contractuel·les, voire de catégorie B ou C. Elle permet également, dixit le président de la FFSU, à « compétence égale de privilégier celui qui coûte le moins cher entre un prof EPS et un agrégé EPS ou hors EPS ».
Cette politique de recrutement de la FFSU vers une augmentation de recrutement de contractuel·les à tous les échelons (DN, ligues et DR) crée des dysfonctionnements. La valeur individuelle des contractuel·les n’est ici pas en question par rapport aux fonctionnaires. Mais dans le cadre d’un travail fédéral et a priori d’équipe de cadres A, si la moitié est composée de contractuel·les et l’autre de fonctionnaires enseignants d’EPS, les inégalités de statuts minent les dynamiques professionnelles, les relations et les cohésions y compris sur le sens des missions de SP à porter.
Un autre désaccord : le président de la FFSU nous a dit privilégier les missions aux personnels. Or, syndicalement et professionnellement, nous pensons que les 2 aspects, les missions et les personnels qui les portent, sont indissociables et en interaction. Les missions de politiques publiques et ou de missions de SP doivent être portées par des personnels formés, qualifiés et protégés par un statut (fonctionnaire) ou un contrat protecteur.
Certes, cette nouvelle équipe élue a rationalisé le fonctionnement et l’équilibre financier… Mais nous pensons que l’efficience budgétaire, financière ne peut être la boussole dominante. Cette visée de faire mieux avec moins aboutit très vite à faire moins avec moins, et dégrade à la fois les missions et la situation des personnels (dégradation des ambiances de travail en particulier avec les risques psychosociaux en découlant). Les études scientifiques sur le New Management Public montrent que l’hôpital en est l’exemple vivant. La FFSU s’engage dans cette logique comme l’université depuis plus de 15 ans.
3ème point. L’instauration d’un échelon entre la DN et les DR : la ligue.
L’équipe dirigeante a institué en lien avec les nouvelles régions (Loi NOTRe) un échelon qui s’appelle la ligue regroupant les académies de ces nouvelles régions. Autant nous comprenons la nécessité de cet échelon avec des collègues coordonnateur·rices mais pourquoi y mettre des collègues en position hiérarchique sur cet échelon ? Nous assistons selon nous à un renforcement de la ligne hiérarchique. La FFSU ne crée-t-elle pas une forme de « caporalisation » qui nuira selon nous à la dynamique que la structure FFSU doit construire ?
Pour conclure, nous voyons réunis un nombre de critères caractérisant un New Management Public. Nous pensons que la FFSU ne peut se gérer ainsi et le souci d’efficience rentre souvent en contradiction avec les missions des SP et le respect des « ressources humaines ». Il en va de la capacité à toujours rendre attractif l’envie de travailler à la FFSU et de soutenir les AS et leurs enseignant·es d’EPS, en particulier dans les universités. Nous estimons que la FFSU peut faire d’autres choix sur ces 3 points malgré les contraintes budgétaires.
Le SNEP-FSU n’est pas membre de la FFSU et ne participe pas aux décisions de fonctionnement et d’orientation, aux votes et élections de la FFSU.
Mais le SNEP-FSU comme syndicat présent et agissant dans la sphère professionnelle de l’EPS, dans « l’écosystème du sport à l’université », souhaite mettre à la connaissance de la profession cette appréciation de la situation et le glissement semble-t-il assumé par la FFSU. L’enjeu ici n’est pas d’accuser ni de personnaliser, mais d’exposer des divergences politiques et de les porter au débat d’une communauté professionnelle.