STAPS : une identité en question à travers la minoration des APSA dans les maquettes

Par Pascal Anger et Samuel Lepuissant

Un constat : l’enseignement des APSA affaibli par un déficit d’encadrement en STAPS

A la rentrée de septembre 2021, deux UFRAPS, entre autres, sont traversées par des mouvements de contestations. De natures différentes, les motifs des contestations ont, toutefois, un point commun : un problème d’encadrement.

La direction de l’UFR de Grenoble souhaitant transformer des postes de second degré en postes d’enseignant·e-chercheur·es (EC), la contestation est d’ordre « qualitative ». Quant à l’UFR de Rennes, l’attente depuis 4 ans des postes, promis, pour combler partiellement son indigne état de sous encadrement (1 poste/42 étudiant·es) en fait un problème « quantitatif ».

Or, si l’on problématise ces mouvements d’un point de vue historique et de l’identité des STAPS, ne peut-on pas y percevoir une « tension mal traitée ou mal posée » à travers ce que l’on peut appeler « l’universitarisation » des STAPS ?

Celle-ci, engagée depuis les années 1990, repose sur une prédominance du recrutement d’EC1 allant de pair avec la création de laboratoires, et qui se fait de plus en souvent actuellement, faute de moyens budgétaires en emplois au détriment ou à la place (au profit de départs à la retraite) d’enseignant·es du second degré responsables d’enseignement de polyvalences ou de spécialisation dans les APSA.

Ainsi, en 2020, le nombre d’EC en STAPS est de 836 (en augmentation) et d’environ 650 enseignant·es d’EPS qui baisse depuis 10 ans. Soulignons d’entrée pour éviter de faux débats que l’enjeu est pour nous d’augmenter à la fois le nombre d’enseignant.es d’EPS et d’enseignant.es chercheur·es en STAPS.

De quelle identité parle-t-on ?

Cet état de fait fragilise l’identité des STAPS construite autour de l’enseignement de la technologie  des APSA et des interventions issues d’un contexte socio historique (on écrit y compris dans les textes officiels de l’EPS que les APSA sont des « objets d’études et des moyens de formation »). Syndicalement, nous écrivons parfois que les APSA sont des œuvres culturelles évolutives à étudier.

Pourtant, l’universitarisation des STAPS a amené une logique incontournable (identitaire) liée à la recherche.

La création du CNU2 a lieu en 1982. La  74è section, étiquetée pluridisciplinaire, voit le jour en 1994. (STAPS sciences et techniques des APSA). Les formations des UEREPS, majoritairement prodiguées et dirigées par des formateurs·trices enseignant·es d’EPS de statut de second degré, recrutent des EC nouvellement qualifié·es dont le statut spécifique implique un temps d’enseignement (192h) et un temps de recherche. Les domaines de recherches et les mentions de formations se diversifient. Les recrutements d’EC, même encore minoritaires, entraînent logiquement l’université à reconnaître préférentiellement, du fait d’une de ses missions « identitaires » qui est la Recherche, « la prédominance » aux EC qui souvent s’entendent comme la « vraie » légitimité universitaire.

L’identité d’une formation se définissant par les contenus abordés, l’enjeu sur les maquettes et leur pilotage est grand. « Les contenus dominants sont les contenus des dominants ». Des négociations/tensions entre mentions, entre labos… signent la prise en main des STAPS par les EC dits universitaires (le cas de Grenoble est éclairant). D’après Yvon Léziart : « Les enseignants universitaires (EC) croissent dans les UFR et prennent la responsabilité des maquettes d’enseignement, en veillant à ce que leurs enseignements soient essentiels à la formation des étudiant·es. Ces enseignants, souvent issus de la filière EPS, se démarquent de leurs origines, croyant ainsi permettre une meilleure reconnaissance universitaire des STAPS. Ils se coupent des enseignants d’EPS attachés à la formation au métier qui voient, eux, leur pouvoir se restreindre au sein des institutions. »3

Rappelons un sous encadrement en STAPS qui est inadapté à l’objectif de démocratisation

La disparition du concours d’entrée en 1995 entraine une dizaine d’années d’explosion démographique en STAPS (1995 : 15 000 ; 2005 : 44 000, 2 020 : 65 000- (source Depp) . Les ouvertures d’UFR et d’antennes se multiplient pour éponger ce raz-de-marée (49 Staps plus 13 antennes).

Depuis 2015, les effectifs nationaux en première année (L1) augmentent régulièrement : 13 251 en 2009, 14 965 en 2010, 17 846 en 2011, 18 769 en 2012, 21 188 en 2013, 21 601 en 2014, 22 663 en 2015, 28 000 en 2020, …

L’apparition d’APB (2017) puis de Parcoursup (2018) comme plateforme de tri quantitatif et social n’offre, comme réponse à la forte demande d’inscriptions en STAPS, que la sélection.

Le sous-encadrement impacte directement la structure des formations offertes aux étudiant·es. La logique de non-recrutement croise les plans quadriennaux successifs à l’intérieur desquels on note une diminution permanente de la place des APSA dans les maquettes. « Les pratiques d’APSA pour les étudiant·es ont été profondément réduites voire parfois supprimées. Comment en effet passer d’un enseignement des APSA pour 150 étudiant·es en première année (1993) à un enseignement pour 900 étudiant·es (2005) ? (op.cité).

L’identité culturelle et politique des STAPS est fragilisée par des formations diminuées en temps d’enseignement des APSA

… La diminution du nombre d’enseignants·es d’EPS implique automatiquement une diminution de l’enseignement des APSA dans les maquettes. Même si certains EC (venant souvent de l’EPS) enseignent aussi des APSA (on y reviendra). Ceci serait pour certain·es une implacable évolution nécessaire (logique) vers une « complète » universitarisation des STAPS encore mal aboutie. …

Pointons aussi qu’il y a dans le recrutement des EC un déficit  en sciences humaines et sociales (SHS) en STAPS. Les APSA semblent trop souvent vues sous l’angle des « sciences de la vie ». Ce constat implique une insuffisance de critiques sociales et politiques des APSA pour cette 74e section par essence pluridisciplinaire.

Enfin sur les structures, il faut pointer que 40 % des STAPS sont des départements, donc sous tutelle d’UFR généralement de sciences ou médecine.

  • Une histoire qui ne répond pas aux questions des besoins et demandes en STAPS
  • d’épistémologie des STAPS : de quelle légitimité universitaire (pluridisciplinaire) des champs scientifiques dont la physio/santé … des STAPS peuvent se prévaloir de détenir l’alpha et l’omega des savoirs disciplinaires et du sens ou de l’utilité des APSA ? Le SNEP-FSU soutient depuis des années, que la question DES interventions dans le domaine des APSA est un axe central et rassembleur pour la communauté des STAPS (E.M, APAS, E.S, ERGO, Management (?).
  • de formation par la confrontation à des savoirs issus de pratiques d’APSA et issus de recherches sur les APSA : l’alternance « théorie-pratique » détient du sens et de la pertinence dans la formation aux APSA, mais aussi pour la recherche. Au même titre qu’il faut s’interroger sur ce qu’est connaître les APSA à des fins d’interventions face à des publics identifiés, il s’agit de questionner ce qu’est connaître la psychogénèse de l’enfant, la sociologie des pratiquant·es, les différents régimes de contractions musculaires ou l’histoire des lieux de formations depuis 1945… à des fins d’interventions (et de production de savoirs scientifiques).

Les mobilisations de Grenoble et Rennes cristallisent ces questionnements sur la filière STAPS et son encadrement, quantitatif et qualitatif. Entre les enseignant·es d’EPS qui n’auraient jamais produit aucun savoir et les EC qui n’iraient jamais sur le « vrai » terrain, il existe un espace d’EC cultivé·es par les APSA et des statuts de second degré (enseignant·es d’EPS (PRAG (agrégé·e) et PRCE (certifié·e)) cultivé·es par la recherche. Il est même logique que tout·e enseignant·e d’EPS (second degré) à l’université s’intéresse aux travaux de recherches de tous horizons concernant de près ou de loin les APSA, l’enseignement et leurs vulgarisations. Et c’est là il nous semble, qu’il faut redéfinir ce qu’est un « travail d’enseignant·e » à l’université et en STAPS. Le qualificatif d’universitaire dépasse la question des statuts (2d degré et EC).

Conclusions et revendications

L’originalité des STAPS à l’université est de pouvoir articuler un enseignement d’APSA avec tous les domaines de la recherche. Un objet fort de son identité se trouve dans le sujet du domaine de l’intervention en APSA.  La qualité de cet enseignement ne peut que et doit s’accompagner d’une quantité importante de pratique, dans toutes les mentions. Pour le SNEP-FSU il s’agit de sortir de ce faux débat mortifère sur la légitimité et l’identité des STAPS qui opposerait les EC et les « second degré ».

Le SNEP-FSU souhaite dépasser la vision d’une discipline S-T-APS juxtaposant des enseignements Scientifiques et des enseignements Technologiques. Dépasser une discipline S-T-APS juxtaposant deux statuts auxquelles sont attribuées des fonctions différentes. Les EC formant par la recherche, les « 2d degré EPS » (dit « prag/prce » en fait agrégé et professeur d’EPS) formant par l’enseignement de la technologie des APSA.

L’idée de créer des EC STAPS (74e) détenant cette double valence est à questionner. Un statut unique, conditionné, pour les second degré postulants, à des productions scientifiques significatives mais aussi, dans la même logique, à des connaissances technologiques significatives dans les APSA, pour nombre de détenteurs d’une thèse se présentant devant la 74e section.

Réactualiser notre revendication pour les « second degré » à l’université, par un abaissement de service à 284 h pour initiation/collaboration recherche (y compris SUAPS) ?

Il faut aussi Augmenter le nombre de postes d’EC pour tou·tes les doctorant·es second degré EPS nombreux·ses en STAPS.

A Grenoble, on peut débattre du recrutement d’EC et de quels domaines, mais pas sur le potentiel des enseignant·es d’EPS et donc, au détriment de l’enseignement des APSA.

La question des moyens humains est une lutte dont les politiques localement et ministériellement se défaussent, au prétexte de l’autonomie des universités d’un côté et, de l’autre, de l’abandon d’une volonté de pilotage national d’un service public, avec en parallèle une austérité budgétaire (diminuer la dépense publique) qui n’a jamais été aussi pauvre et inégalitaire sur le territoire.

L’enjeu est économique et disciplinaire/universitaire pour les STAPS, donc idéologique. Au-delà d’une interrogation entre les statuts et les fonctions, sous tension budgétaire qui est mortifère, les perdant·es seront les étudiant·es et le développement d’intervenant·es expert·es pour l’EPS, les sports associatifs et de haut-niveau dans notre société. La conception, pour schématiser, de la marchandisation (les APSA un marché)/instrumentalisation politique des corps ou des pratiques corporelles s’en trouverait très renforcée au détriment de la visée émancipatrice, appropriation critique et culturelle des APSA et de leurs enseignement/encadrement/qualification (sans oublier la recherche). La prolifération des écoles privées de formation aux métiers du sport (sans dimension recherche et académique) s’en trouverait boostée…

Le « sport », ensemble multiforme d’APSA, « fait social total », doit être étudié et travaillé (recherche) dans tous ses aspects et « recoins ». Sa place est bien à l’université au sein de la 74e section, dans des STAPS identifiés et structurés comme véritable UFR, et non comme département ou autres dénominations vassalisées par d’autres domaines ou UFR. STAPS, ayant au sein de chaque université leurs moyens humains (pérennes) d’enseignement des APSA, d’enseignement pluridisciplinaires et de recherches (dont labos propres et/ou mixtes).

Ce tout donne légitimité, originalité et cohérence aux STAPS à l’université. Le seul maillon manquant et vital est le plan d’urgence comprenant autour de 1 100 postes de titulaires dont 500 EC dont en SHS, 500 enseignant·es d’EPS et 150 BIAtss.

  1. EC qui se décline en MCF (maître de conférences qualifié après une thèse reconnue par le CNU, MCF HDR (habilitation à diriger des recherches) et PU (professeur des universités coordonnant, dirigeant des labos entre autres) []
  2. Conseil national des universités qui regroupe toutes les disciplines universitaires et valide entre pairs les qualifications []
  3. Yvon Léziart « l’évolution des formations en STAPS (1987- 2007) ContrePied n°20, 2007 []
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