Les groupes de niveaux : la fin du collège pour tous et toutes

Par Alex Majewski

Les groupes de niveaux remettent en place l’école des années 60 où les filières trient les élèves en fonction de leurs résultats, reproduisant les catégories sociales sauf pour les plus méritant·es des classes populaires. La scolarité et l’entrée dans le monde du travail dépendent spécifiquement de son origine sociale et culturelle et s’opposent à tout processus de démocratisation. Une mesure qui va profondément cliver la société française, abandonnant les populations les plus en difficulté. 

Les collèges dans les années 60, à la suite de la réforme Berthoin de 1959 qui a rendu la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, ouvrent leurs portes aux jeunes de toutes les catégories sociales. Ils sont organisés en classes de niveau jusqu’à l’instauration du collège ‘’unique’’* en 1975 et fonctionnent avec 3 filières cloisonnées et ayant de fortes spécificités. Chaque élève se rendait compte qu’il y avait des nul·les et des bon·nes. Enseignant·es et parents savaient que les élèves auraient des parcours scolaires parallèles sans aucune possibilité d’apprendre et de faire ensemble. Leur destin scolaire était donc tracé dès l’entrée en classe de 6ème. En outre, ce collège préparait doucement les élèves les plus faibles, majoritairement issu·es des couches populaires, au monde du travail. Si la massification de l’enseignement fût réussie, la démocratisation avait en revanche totalement échoué.

Prenant conscience de cet échec, les pouvoirs publics se sont engagés dans un processus de démocratisation de l’enseignement, entendue comme l’accès de toutes et tous à une vaste culture humaniste, à ce que nous appelons encore une culture commune. Aussi, cette démocratisation a-t-elle toujours fonctionné selon une double logique : réduire le nombre de voies scolaires parallèles pour scolariser les enfants ensemble le plus longtemps possible et donner davantage à celles et ceux qui n’ont que l’école pour accéder aux savoirs, savoir-faire et œuvres de l’humanité.

En décrétant l’organisation de la scolarité au niveau du collège en ‘’groupes’’ dans les disciplines dites ‘’fondamentales’’

– Mathématiques et français – Macron et son gouvernement ruinent l’idée de démocratisation de l’enseignement en instaurant des voies parallèles et en donnant moins à celles et ceux qui n’ont déjà pas beaucoup (uniquement les compétences de base pour les faibles et l’accès aux œuvres et à la culture pour les meilleur·es). Le collège pourrait ainsi être organisé en 2 ou 3 voies sans réelle possibilité d’en changer : le parcours ‘’des fondamentaux’’ pour les nul·les, le parcours ‘’approfondissement’’ pour les meilleur·es et un mélange des deux pour les moyen·nes. Nous constatons alors des similitudes avec l’organisation du second degré des années 60. Ce choix politique remet en cause le collège unique et met en place le tri scolaire.

Les chercheurs·euses en sciences de l’éducation et en sociologie (Sylvain Connac, Marie Duru-Bellat et Alain Mingat, note de synthèse de 2004 de la Revue française de pédagogie) ont montré l’inefficacité d’une telle mesure, tant pour les meilleur·es élèves que pour les plus fragiles : altération de la confiance en soi pour les plus faibles, accroissement des différences initiales entre élèves, effets négatifs sur le processus de construction de l’identité sociale de l’élève, baisse ou stagnation des résultats des meilleur·es élèves…

Des groupes de niveaux pour répondre au marché de l’emploi

Regardons du côté des finalités de l’école. Nos décideurs·euses considèrent que l’enseignement doit répondre étroitement et durablement aux besoins de l’économie. Ils s’inscrivent dans les prescriptions du conseil européen qui expliquait en 2011 : « identifier d’abord les besoins en matière de formation » puis « augmenter la pertinence de l’éducation et de la formation vis-à-vis du marché du travail » afin qu’ils fournissent « un dosage approprié d’aptitudes et de compétences ».

Altération de la confiance en soi pour les plus faibles, accroissement des différences initiales entre élèves, effets négatifs sur le processus de construction de l’identité sociale de l’élève, baisse ou stagnation des résultats des meilleur·es élèves…

Des économistes étudient quels sont ces « besoins » du marché du travail. Ils/elles identifient alors une polarisation des qualifications : une croissance des ‘’petits boulots’’ essentiellement dans les emplois faiblement rémunérés du secteur des services, une autre plus forte dans les emplois à très haut niveau de qualification et un déclin du nombre d’emplois intermédiaires (travailleurs·euses qualifié·es dans les bureaux et l’industrie). Le CEDEFOP, service européen chargé d’étudier l’adéquation entre enseignement et marché du travail, dresse lui aussi le constat d’une polarisation des attentes en niveaux de qualifications.

Nous pensons alors que l’organisation en groupes au collège tend à répondre à ces besoins du marché de l’emploi : les nul·les vers les emplois faiblement qualifiés, les moyen·nes vers les emplois intermédiaires et les fort·es vers les hautes qualifications La majorité des élèves dès leur entrée en 6ème resteront dans leur couloir d’assignation. Quelle violence sociale et symbolique !

Cette mesure de l’organisation du collège en groupes contenu dans l’ensemble plus large du ‘’choc des

savoirs’’ s’inscrit pleinement dans le projet éducatif néolibéral du président Macron et de son gouvernement. Ce projet vise à former des jeunes qui s’adapteront à la société telle qu’elle est et qui intégreront qu’il n’y a pas d’alternatives possibles. En outre, les décideurs·euses politiques s’attellent à transformer en profondeur notre modèle social vers « la concurrence, la frustration, les destins qui se dessinent et se décident dès la naissance » (Laurence De Cock – Mars 2024).

Le SNEP-FSU, engagé pour la construction d’une école démocratique et émancipatrice, s’oppose fermement à l’organisation de ce tri scolaire et social. Il appelle les collègues à poursuivre et amplifier les mobilisations contre ce projet éducatif violent socialement et catastrophique scolairement, visant uniquement à couler les jeunes dans les moules du marché.

Ensemble, arrêtons-les !

* Nous avons mis uniquement entre guillemets car en 1975, il y avait encore une sélection à la fin de la 5ème et des parcours différenciés en fonction des résultats scolaires. Il ne sera jamais réellement unique en termes de filière, car dès la suppression des 4ème/3ème technologiques dans les années 80, très vite se mettent en place des classes de niveaux par le choix des options.

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