Les loisirs occupent une place centrale dans la vie des jeunes. Quelle est leur fonction ? Sont-ils un temps de développement et d’éducation ou captés par la logique marchande. Quel service public du temps libre ?
Les pratiques des loisirs reproduisent les inégalités sociales et de sexe. Si 72 % des 15-24 ans réalisent un sport régulièrement1 on observe plus finement que 71 % des enfants issus de familles modestes ne sont pas inscrits dans un club ou une association sportive et culturelle, contre 38 % des enfants de milieux favorisés2. De même, les vacances constituent un autre marqueur fort d’inégalités. En France, environ 1 enfant sur 4 ne part pas en vacances dont une grande majorité issue des classes sociales défavorisées.
Une inégalité accrue pour les filles
Si l’on s’attache à regarder plus précisément la participation des filles dans les temps de loisirs organisés, nous constatons une grande inégalité. Deux tiers des bénéficiaires (entre 8 et 20 ans) de l’offre de loisirs publique ou associative subventionnée sont des garçons. Ils représentent 75 à 80 % des utilisateurs réguliers des maisons de quartier (…) et pratiquement 100 % des utilisateurs des équipements sportifs d’accès libre. Ils sont aussi deux à trois fois plus nombreux à partir dans les séjours et vacances.3
Ce constat traduit l’échec des politiques publiques qui ne s’est pas vraiment donné les moyens de démocratiser l’accès au loisir. Une occasion raté pour l’éducation de tous et toutes ?
Loisirs : émancipation culturelle ou normalisation citoyenne ?
Joffre Dumazedier voyait dans le temps libre un levier de transformation sociale et culturelle4. Il définit le loisir comme « un ensemble d’occupations auxquelles l’individu s’adonne de son plein gré, une fois dégagé de ses obligations professionnelles, familiales et sociales », et insiste sur ses fonctions de détente, divertissement, mais aussi développement personnel et participation sociale volontaire. Il ne s’agit pas seulement d’un temps libéré, mais d’un temps porteur de créativité, autonomie et culture.5
L’avènement d’une société du loisir a été accompagné par un mouvement essentiellement centré sur une logique marchande normative, se détournant d’une logique d’éducation permanente et de participation citoyenne. Normative au sens où il devient un espace de socialisation normalisante. La citoyenneté se transforme en un simple respect des règles et l’intégration de l’ordre social existant. Comme le souligne Jean-Yves Rochex, les politiques éducatives oscillent entre démocratisation et normalisation : la citoyenneté est parfois pensée comme « adaptation aux normes dominantes » plutôt que comme processus d’individuation et d’émancipation.
Si les loisirs sont traversés par cette tension, nous devons nous ressaisir de ces débats pour continuer de défendre le droit de tout être humain au loisir pour « libérer en chacun le pouvoir de création », Manifeste de Peuple et Culture de 1945. Les enseignant·es d’EPS sont face à un défi complexe comme le souligne Andjelko Svrdlin dans le numéro de Contrepied, celui d’inciter la jeunesse pendant le temps obligatoire à avoir des loisirs émancipateurs.6
- Baromètre national des pratiques sportives 2024, INJEP / Crédoc, mai 2025 [↩]
- Rapport annuel 2023 sur les droits de l’enfant, publié par la Défenseure des droits [↩]
- Loisirs des jeunes : du constat des inégalités filles garçons au ”gender budgeting ”, Yves Raibaud [↩]
- Dans Vers une civilisation du loisir ? (1962) [↩]
- https://peuple-et-culture.org/ressources/dumazedier-du-loisir-au-developpement-culturel [↩]
- Andjelko Svrdlin, FORMER AUX LOISIRS C’EST CONTRIBUER À L’ÉMANCIPATION, EPS et loisirs Élaborer du commun, Hors-série n°29, décembre 2021 [↩]





