CDN des 20 et 21 mai 2021 – Introduction

Nous sommes réunis pour le dernier CDN d’une année scolaire qui aura été extrêmement compliquée. Il arrive dans un contexte international extrêmement tendu avec notamment la répression du mouvement social en Colombie mais aussi l’escalade dans le conflit israélo-palestinien qui fait craindre le pire. Les mouvements de soutien organisés en France ont, comme s’en est devenu une malheureuse habitude, été interdits à de nombreux endroits et la dispersion des quelques personnes souhaitant toutefois manifester a été une nouvelle fois assez violente. Le Chili qui a vu la droite et l’extrême droite prendre une claque avec l’élection de la gauche et des indépendants à la convention constituante peut nourrir un certain espoir mais dans le même temps cela peut interroger. Faut-il pour un avènement de la gauche sociale une prise de conscience provoquée par des politiques dictatoriales, de droite dure ou d’extrême droite ?

Ce dernier CDN est aussi le moment de dresser un premier bilan global pour construire des pistes pour l’avenir, se fixer un cap pour la prochaine rentrée.

D’aucun pense que la pandémie, la période actuelle, révèle la faillite du néolibéralisme en ce qu’il n’aurait pu montrer sa capacité à répondre aux crises. Mais cette faillite ne peut s’analyser qu’à l’aune d’une vision de l’Etat providence, de l’Etat protecteur qui nous a bercé et sur lequel nous fondons notre conception du modèle social. Si on se place du côté des thuriféraires de cette idéologie, on peut surtout y voir une avancée de ce système. En effet, pour eux, cette période aura permis de faire avancer bien des marqueurs du néolibéralisme : individualisation des situations, atomisation des solidarités, contrôle renforcé des citoyens, digitalisation, primauté de l’économique sur le social, négation des corps intermédiaires dont les syndicats comme partenaires sociaux… Cette période, suivant le mode d’entrée que l’on choisit, peut donc présenter des analyses diamétralement opposées. Il nous faut donc éviter le manichéisme et tenter de voir les choses de manière dialectique si l’on veut pouvoir identifier les leviers sur lesquels il nous faut jouer pour faire avancer nos revendications.

En tout état de cause, si certains ont tiré profit de la crise pandémique comme les GAFA, Amazon ou encore les plus grosses fortunes françaises (n’oublions pas aussi que cette année, dans un contexte d’aides massives aux entreprises, plus de 50 milliards d’euros seront distribués aux actionnaires des entreprises du CAC 40 soit la moitié du fameux plan de relance du gouvernement), les besoins de la population, eux, n’auront bénéficié que de mesurettes ne permettant pas d’y répondre. La partition sociale orchestrée entre les plus riches et les autres, les plus vieux et les jeunes etc., le tout économie financiarisée, les choix politiques assumés pour gérer la crise sanitaire en ne s’appuyant pas sur les services publics mais en faisant appel à des cabinets de conseil à prix d’or… constituent des marqueurs d’une continuité dans le développement du néolibéralisme et de politiques de droite voire de droite extrême sur certains aspects.

Nous avons à plusieurs reprises évoqué un rouleau compresseur qui nous empêche de penser, de nous projeter dans un autre avenir. La pandémie a occupé l’ensemble de nos pensées et c’est normal mais il faut nous servir de cet épisode qui dure pour en tirer tous les enseignements et ils sont nombreux.

De nombreux dossiers sont identifiables et sont autant de points de crise mis en exergue, parce qu’ils étaient déjà présents, par la pandémie. Pour n’en citer que quelques-uns :

  • Un déni de démocratie avec les lois d’urgence, le traitement de tout par voie d’ordonnances, une démocratie parlementaire bafouée (le dernier exemple sur le pass’sanitaire est évocateur… rejeté le matin il est remis au vote le soir même pour être adopté), la loi de transformation de la Fonction publique et un dialogue social qui n’a plus de dialogue que le nom ; A l’échelle d’un établissement c’est aussi l’affaiblissement des prérogatives et du rôle du CA.
  • Une nouvelle loi sécurité qui s’attaque encore un peu plus aux libertés individuelles et collectives et qui met sous surveillance bon nombre de citoyens et là, n’oublions pas la fameuse « loi pour une école de la confiance » qui verrouille toute opposition et musèle les contestations
  • Une forme de remise en cause de notre modèle d’intégration avec la mise en débat de la laïcité ou plutôt de ses entorses réelles ou imaginaires avec le projet de loi sur le respect des principes républicains qui, à bien y regarder au travers des débats, ne visent que la stigmatisation d’une partie de la population : les musulmans
  • Une pratique de l’exercice du pouvoir concentré aux mains d’un seul homme
  • Une théorie économique toujours basée sur une pseudo théorie du ruissellement dans laquelle on pense que nourrir les plus gros permet aux petits de vivre en se nourrissant des miettes un peu comme les rémoras
  • Une volonté de continuer une politique de destruction de la Fonction publique et des services publics (fermeture de lits à l’hôpital, suppressions de postes à l’éducation nationale…) pour favoriser les privatisations de nombreux secteurs. A ce propos, une journée intersyndicale à l’initiative de la FSU, de solidaire, de la FA et de la CGT est programmée le 15 juin sur les question salariale et d’emplois dans la fonction publique
  • Une culture, une école, mises sous tension dans lesquels la démocratisation, l’émancipation par les savoirs ne seraient plus un enjeu parce que comme on le sait tous, le savoir c’est le pouvoir et la citation complète de Dan Abnett reflète ce qui est en jeu pour le Macronisme : « le savoir, c’est le pouvoir. Mais le savoir représente parfois un pouvoir trop grand. Parfois, même une grande vérité doit être sacrifiée pour le bien de tous ».

Je vais arrêter là parce qu’il y aurait trop de sujets. Ils montrent que l’époque dans laquelle nous sommes, avec une transformation en profondeur de notre modèle social, peut-être un point de rupture, de basculement dangereux.

L’œuvre de Macron, si on peut parler d’œuvre, aura aussi été de déstructurer et en partie détruire le paysage politique français en abolissant les frontières des différents marqueurs. Après avoir complètement fait exploser la gauche de gouvernement avec la complicité active de Valls et Hollande lorsqu’il était ministre de l’économie avec sa loi «pour l’activité, la croissance et l’égalité des chances économiques» à la base de l’émergence des frondeurs, après avoir pioché à droite et à gauche pour former son gouvernement une fois élu à la présidence provoquant des remous tant dans les rangs de droite que de gauche, les présidentielles à venir sont l’occasion de nouveaux brouillages visant à permettre sa réélection.

Les sujets sécuritaires se multiplient, les discours sur la radicalisation, la laïcité (même dans le secteur du sport et de l’EPS), le renforcement des dispositifs juridiques, l’écoute attentive des doléances des forces de l’ordre mais surtout de la police au travers du syndicat Alliance avec un ministre qui a tout en main pour changer la police en la réorientant vers plus de proximité, de dialogue, une police républicaine au service des citoyens mais qui préfère défiler dans la rue à ses côtés, l’écouter dire que « le problème de la police, c’est la justice » dans une démagogie absolue… Tout cela montre une stratégie visant à surfer sur les thèses de l’extrême droite pour n’installer qu’une forme de bipartisme LREM et RN et se poser en rempart unique contre l’extrême droite. Les sommets ont été atteint lors du débat entre Marine Lepen et Gérald Darmanin où de très nombreux accords se sont fait jour. Le summum a été atteint lorsque Darmanin dit : « « dans sa stratégie de dédiabolisation, Mme Le Pen en vient à être quasiment un peu dans la mollesse, il faut reprendre des vitamines. Vous dites que l’islam n’est même pas un problème ». Dire cela, n’est-ce pas dire en substance que les idées d’extrême droite sont maintenant au gouvernement ?

Tout cela sans oublier bien sûr les atteintes aux libertés académiques, les procès en islamo-gauchisme etc.

Dans sa stratégie, LREM qui ne considère pas que la gauche soit un problème compte tenu de sa dispersion et de son incapacité à se rassembler, œuvre dans une double direction. D’un côté, mettre le feu au sein de LR en proposant des alliances et de l’autre mettre sur le devant de la scène le rassemblement national qui est de tous les plateaux télé dans l’objectif de provoquer une unité nationale contre l’extrême droite en se portant sur la candidature de Macron.

Ce faisant, il libère encore plus, après Sarkozy, la parole et lève tous les freins qui pouvaient exister par le passé à s’afficher et à revendiquer le fait d’être de l’extrême droite. Les tribunes des militaires en est un exemple frappant surfant sur les peurs d’une prétendue possibilité de « guerre civile » !

Les restrictions imposées pour tenter de juguler la pandémie pourrait laisser croire qu’au-delà de quelques manifestations la France serait plutôt apaisée. Mais force est de constater qu’il n’en est rien bien au contraire et que les instrumentalisations de différents sujets ne font qu’engendrer encore plus de discorde, de colère et de rancœur.

Si nous devons combattre et dénoncer l’extrême droite, je pense qu’il n’est pas possible, compte tenu de ce que je viens de dire (et qui n’est qu’une analyse personnelle) de le faire sans mettre dos à dos LREM dans sa stratégie et dans la politique menée et le RN.

Que notre syndicalisme ait à exprimer à un moment donné une position est évident mais avant cela quel travail entreprendre ? Des syndicats appellent au rassemblement des forces de gauche. Mais quelle portée peut avoir ce type d’appel quand de notre côté, syndicats, nous ne sommes pas en capacité de montrer l’exemple ? Si nous estimons nécessaire d’œuvrer en ce sens (et c’est à débattre) c’est en portant nos revendications, nos positions, nos propositions pour faire du commun dans les constructions programmatiques des uns et des autres. Donner de la cohérence et rassembler sur des objets communs peut être une porte d’entrée au travail de rapprochement nécessaire pour une candidature susceptible de l’emporter. Cela nécessite de travailler sur la forme d’un ensemble de propositions en partant de nos préoccupations premières puis en élargissant à des questions plus générales mais cela nécessite également dans un second temps à aller à la rencontre des différents partis pour dialoguer.

Parallèlement à ce travail, il nous faut donc prendre langue avec les différentes forces politiques en présence (à l’exception du RN) pour dialoguer autour de la construction de leur projet mais aussi pour faire connaitre à la profession les différentes propositions. Cet appel qui a été réalisé par le SNEP n’a trouvé de réponse qu’auprès de deux organisations politiques : le PS avec qui nous avons échangé et le modem qui nous avait répondu qu’il n’avait pas le temps…

Il faut regarder de près les différents programmes qui se construisent. A titre d’exemple, LR qui avance sur son programme éducatif nécessite interpellation et information. Pour vous donner rapidement les axes de ce programme, LR propose une réforme en profondeur du système éducatif qui se base sur plusieurs axes : 

  • Recentrer l’école sur l’enseignement des fondamentaux avec les méthodes certifiées par le ministre de l’Éducation nationale, (sans parler de fondamentaux pour le coup, on l’observe déjà dans notre champ avec une confiscation de plus en plus forte des débats pédagogiques et des formes de mise sous tutelle avec le poids prégnant de certains IPR qui nient l’expertise et la capacité de conception de collègues pour imposer leurs vues)
  • Concevoir des programmes d’histoire avec pour finalité la narration d’un récit national,
  • Renforcer la sécurité en permettant l’intervention des membres de la réserve civile de la police nationale aux abords et au sein des établissements et lutter pour le respect de la laïcité dans le cadre scolaire,
  • Connecter les établissements scolaires (collège et lycée) et le monde professionnel en multipliant les échanges entre les élèves et les acteurs économiques du territoire, en développant la pratique d’immersion des enseignants au sein des entreprises et en renforçant la présence des représentants des secteurs professionnels du territoire dans les lycées, en supprimant le collège unique et en développant l’apprentissage dès 14 ans,
  • Donner davantage d’autonomie aux chefs d’établissement,
  • Proposer des contrats de mission à durée déterminée aux enseignants pour qu’ils s’engagent dans une zone géographique prioritaire ou rurale contre une meilleure rémunération.

On voit, par ce type de propositions, pas nouvelles, que nous n’avons pas tout à fait touché le fond et que l’Ecole de demain peut encore être pire que celle d’aujourd’hui…

Il y a donc une double visée au travail à entreprendre, travailler à l’émergence du commun via des confrontations programmatiques et dévoiler les différents programmes pour permettre à nos collègues de faire des choix éclairés.

Sur notre syndicalisme et nos questions spécifiques nous avons aussi à tirer le bilan de la période. Parfois, à quelque chose malheur est bon et en ce qui concerne l’EPS, les errements, les successions contradictoires de consignes sanitaires, les injonctions paradoxales auront mis à mal l’enseignement de la discipline et généré chez nos collègues fatigue, ras le bol, colère. Nous avons été la discipline la plus impactée par la crise sanitaire. Mais dans le même temps, jamais les questions relatives à la pratique physique n’auront été autant au-devant de la scène et jamais notre audience SNEP-FSU n’aura été aussi grande : presse télévisée, presse écrite, radios… le SNEP-FSU a été fortement présent sur le plan médiatique. Cette audience en fait aussi un interlocuteur reconnu et essentiel au niveau institutionnel avec les contacts au MENJS mais aussi à l’Elysée (je n’ai pas souvenir d’un SNEP reçu à l’Elysée sur les questions EPS dans les dernières décennies), à l’assemblée, au Sénat… Nous avons été de tous les fronts et sommes maintenant sollicités dans des lieux où nous n’étions pas, je pense aux échanges avec la commission Attali (les lobbyistes se préparent pour les présidentielles) mais aussi au débat auquel je dois participer au grand orient de France sur la radicalisation dans le sport où là, ce groupe de lobbyistes cherche à s’inscrire, à participer et faire des propositions aux Etats Généraux de la Laïcité. Je n’y serai pas forcément en terrain ami mais cela montre bien que nous sommes de plus en plus sollicités sur toutes les questions sport, EPS et éducation et c’est un des effets de la crise du COVID sur lequel il nous faut capitaliser. Nous avons pu avoir aussi quelques victoires dans un contexte difficile je pense à l’enseignement de spécialité, à la perspective insatisfaisante pour l’heure du bac pro métiers du sport, des protocoles spécifiques EPS, de l’ouverture des gymnases etc. Pas sûr qu’il y ait beaucoup d’orga qui ait pu glaner quoi que ce soit.

Au plan de notre activité syndicale, vous en avez tous fait la remontée et nous aurons l’occasion d’en rediscuter mais l’activité déployée autour de la « semaine de l’EPS », des soirées relatives à la mise en place des protocoles, des soirées EPS ont fait la démonstration de notre capacité à nous adapter et nous réinventer quelque peu pour maintenir et développer le contact avec l’ensemble de la profession. Cela questionne notre mode de relation à nos collègues et si le contact physique reste essentiel et à privilégier, on voir que d’autres modes de communication sont possibles et qu’il nous faut exploiter à plein l’ensemble des possibles pour augmenter encore notre sphère d’influence.

Cette année scolaire aura été difficile, éprouvante mais tout ce que je viens succinctement d’évoquer et qu’on va débattre, c’est l’enjeu de la séquence qui se poursuivra cet après-midi sur des thématiques particulières, milite pour l’optimisme et l’engagement résolu à travailler plus fortement encore à transformer les orientations pour l’EPS et le Sport en pesant partout où c’est possible avec des partenaires mais aussi des groupes qui ne partagent pas ces orientations. Nos congrès devront porter cet enjeu mais c’est dès à présent que nous devons nous engager dans cette voie.

Bien sûr ici je n’ai pas fait le tour de l’actualité qui, chaque jour, apporte son lot de faits dramatiques, de nouvelles réformes, de débats de détournement de l’essentiel comme celui lancé par Blanquer sur l’écriture inclusive. Ces faits d’actualité peuvent être d’autres portes d’entrée dans le débat général que nous allons avoir pour nous enrichir mutuellement de nos analyses.

Comment jugez-vous le contexte ? Quelles orientations pour cette fin d’année et pour la rentrée 2021 ? Comment et sur quoi peser dans cette courte période en profitant de nos congrès académiques ?

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