L’EPS un luxe dans une période de l’austérité ?

Une politique d’austérité agit à la fois sur les structures de l’éducation pour réduire directement le budget mais elle crée aussi un climat idéologique qui cherche à réaliser des économies et à rendre tout investissement rentable. Ce mode de pensée a nécessairement des conséquences sur les politiques éducatives. Présentation d’un exemple sur les politiques d’éducation physique et sportive en Europe.

Les politiques d’austérité ont différents impacts sur les politiques éducatives. La volonté de réaliser des économies agit directement sur les structures, avec comme conséquence la suppression de postes d’enseignants (exemple en Grèce). En France, c’est sur le non recrutement de nouveaux fonctionnaires que cela joue. Elles se traduisent aussi sur les salaires de la fonction publique (gel du point d’indice jusqu’en 2017).

Mais les Etats n’agissent pas tous au même niveau. Le Portugal, très enlisé dans la crise, a proposé récemment la réduction des horaires d’éducation physique, l’argumentaire reposant sur la nécessité de faire des choix dans le budget de l’Etat et, par conséquent, supprimer ou limiter ce qui semble « superflu ».

Les politiques d’austérité conduisent aussi à geler tous types d’investissement financier pour les installations sportives. C’est ainsi que le conseil général de Seine-Saint-Denis, alors même qu’il connaît parfaitement les inégalités générées par le parc actuel des équipements, justifie le moratoire qu’il a décidé par une volonté d’optimisation » de l’usage des installations sportives déjà construites. C’est souvent aux populations les plus en difficulté que l’on demande d’optimiser ce qu’elles ont et non aux autres. Peut-être une façon d’annoncer que la lutte contre les inégalités en France ne serait plus une conquête à réaliser mais un fait. Il faut faire avec le réel ! Un argument soi-disant d’autorité.

Austérité et idéologie

Mais les politiques d’austérité n’agissent pas simplement sur l’économie. Leurs choix ont des répercussions sur le « capital culturel », intellectuel, symbolique… Pour aller vite, toute culture qui n’aurait pas directement un but serait superflue. La pratique du sport à l’Ecole dans le temps obligatoire serait alors rangée du côté du superflu, en tout cas loin des « fondamentaux », voire remise en cause dans son obligation pour tous et toutes. A moins qu’on n’y associe, au prix de nombreuses contorsions intellectuelles, une utilité sociale évidente. L’Ecole aurait deux types de disciplines : les fondamentales (intellectuelles, qu’il faudrait enseigner le matin pour, rythmes obligent, être sûr qu’elles seront bien intégrées) et les complémentaires (les arts, le sport, la technologie…). Les politiques libérales proposent même dans leurs textes internes une séparation des disciplines avec celles fondamentales, dépendantes de l’Etat, et les autres, sous la responsabilité des collectivités territoriales.

C’est une façon de sortir les enseignements dits « inutiles », comme l’EPS, de la responsabilité d’Etat et d’en laisser la charge à d’autres sur la base du volontariat donc, par définition, pas « pour tous ». Des économies substantielles peuvent donc être réalisées (pour l’Etat, pas pour les familles !) sur le dos de l’égalité, de droit à l’éducation. Pour éviter ce mouvement, et en voulant défendre l’EPS comme discipline « fondamentale », donc utile, certains vont chercher à modifier le contenu même de la discipline scolaire. Ils cherchent alors à « rationnaliser » et mieux « gérer » les contenus à partir de leurs bénéfices sociaux, de leur impact social. La référence au sport, considérée comme culture futile, doit alors être bannie des contenus d’enseignement.  Nous retrouvons ce type d’argumentation dans de nombreux pays européens qui, au nom de l’importance économique et idéologique de la notion de santé dans nos sociétés, coupent l’EPS de la référence à la culture sportive, renvoyant cette dernière exclusivement au secteur privé. C’est ainsi qu’à Malte, les nouveaux textes publiés ne font plus référence explicitement à la notion de sport.

On assiste alors, dans les faits, à un retour en force d’un nouvel hygiénisme voire à des formes explicites de « redressement corporel ». Le concept de « bonne pratique » est de ce point de vue très éclairant,  fonctionnant non pas comme un exemple de pratique mais plutôt comme une normalisation des pratiques d’éducation physique. C’est ainsi que dans de nombreux pays européens « les bonnes pratiques » en éducation physique et sportive participent majoritairement à construire des compétences générales, dans l’esprit des compétences clés de la commission européenne, sans jamais faire référence à la fonction d’acculturation et d’émancipation de l’Ecole.

Or, une EPS qui ne serait pas centrée sur l’accès critique au patrimoine culturel vivant, serait pauvre en « œuvre humaine », en imaginaire, en création technique et ne pourrait être autre chose qu’un contrôle des corps et donc des personnes, dans un ordre moral et normalisant : être fort, être mince, travailler sa silhouette, gérer ses capacités cardio vasculaires pour ne pas « coûter » à la sécu, …

Il est surprenant de constater que les classes dirigeantes qui tiennent ce type de discours sont les plus grosses consommatrices de culture, qu’elle soit artistique mais aussi sportive. Il y a, les études le montrent, une très forte corrélation entre le niveau d’étude, le nombre de pratiques culturelles et la pratique sportive. Ainsi les classes sociales les plus cultivées sont aussi les plus sportives.

Une EPS moins sportive c’est refuser l’accès à la culture aux plus pauvres

L’étude, réalisée par la commission Européenne sur la pratique sportive des Européens en 2013, révèle qu’en bas de tableau ne pratiquant jamais une activité physique, se trouvent les populations de Malte, du Portugal, de la Roumanie et de l’Italie. Nous y lisons un premier signe des conséquences directes de la réduction des horaires d’EPS et d’une hygiénisation de l’éducation physique, en lieu et place de sa mission de démocratisation de la culture sportive. En effet, il y a une corrélation assez importante entre ces résultats et le rapport de la Commission européenne/EACEA/Eurydice, 2013. Selon le rapport « L’éducation physique et le sport à l’école en Europe », le temps d’enseignement consacré à l’éducation physique en primaire varie, en 2011–2012, de 37h en Irlande à 108h en France. Dans le secondaire, il va de 24h à 35h en Espagne, à Malte et en Turquie, de 102h 108h en France et en Autriche. C’est dans les pays qui ont le moins d’heures d’éducation physique et sportive ou une éducation physique pilotée par une dimension hygiéniste que la pratique sportive est la moins démocratique.

Nous avons essayé de montrer les liens entre les politiques d’austérité et les transformations des contenus et formes de l’EPS, sans doute trop rapidement, cela peut donner parfois l’impression d’une relation mécanique et automatique. Notre démonstration veut surtout montrer que les politiques d’austérité recherchant les économies partout où elles le peuvent, vont favoriser l’émergence de certaines idées sur l’EPS sans analyser les conséquences de leur choix.

Le pilotage des politiques éducatives par la simple volonté de diminuer le cout des Etats dans l’investissement ou de rechercher un illusoire retour direct sur investissement est contradictoire avec les politiques qui mettent au cœur la question de la démocratisation de la culture sportive pour tous et toutes.

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