Par Alexandre Majewski
L’auteur analyse l’évolution de l’évaluation des réalisations des élèves en collège comme un révélateur d’une EPS qui se transforme, une EPS qui passe de l’observation du décalage avec le haut niveau à une meilleure prise en compte de ce qui s’apprend en cours. Ces évolutions mettent à distance les savoirs spécifiques et elles induisent une confusion avec des finalités éducatives générales auxquelles l’EPS concourt avec les autres disciplines.
L’évaluation de l’EPS en collège est un sujet complexe et sérieux qui a toujours questionné la profession. Entre doutes et hésitations, les enseignant·es d’EPS réfléchissent, s’interrogent sur la pertinence des outils utilisés, se disputent et expérimentent. Qu’est-ce qu’une performance à l’école ? Comment l’évaluer ? Comment évaluer ce qu’on enseigne et ce que l’élève apprend ? Faut-il évaluer des savoirs autres que sportifs et artistiques ? Quels outils utilisés pour justifier une évaluation objective ? Nous verrons que ces questions sont permanentes dans l’histoire de l’EPS et que la profession s’est toujours engagée pour défendre la discipline et pour résoudre les problèmes auxquels elle était confrontée. Aussi analyserons-nous le poids de l’évaluation sur les finalités, les objectifs et les contenus de la discipline. Enfin, nous proposerons une alternative pour redonner du sens à la certification et à l’évaluation, sens perdu depuis la réforme des collèges en 2016.
Sans prétendre à un travail pointu et exhaustif d’historien·nes, il nous semble opportun de faire quelques rappels historiques sur l’évaluation en collège, qu’elle soit certificative ou formative. Ce travail nous permettra de comprendre l’évolution de la discipline, de saisir les enjeux qui l’ont traversée, de mesurer le degré d’engagement et de réflexion de ses enseignant·es et de mettre en lumière le poids du système docimologique((La docimologie est la discipline scientifique consacrée à l’étude des évaluations, de la notation, en pédagogie.)) sur les transformations de la discipline.
Nous avons choisi de démarrer cette approche historique en 1981. Cette année est marquée par la réintégration de l’EPS à l’Éducation Nationale et la recherche de légitimité en son sein. Cette légitimité passe notamment par deux éléments fondamentaux et incontournables : l’évaluation et les programmes. En outre, la question de l’évaluation en EPS était au point mort administratif depuis 1959 (J. Saint-Martin colloque de Créteil 2021).
Des changements profonds du système docimologique dans les années 1980 : de la performance chiffrée à une performance plus qualitative
Le SNEP-FSU, conscient du rôle majeur de l’évaluation pour la légitimité de l’EPS au sein du système éducatif, mène des réflexions et invite la profession à réaliser des expériences qui seront regroupées au sein de l’ouvrage paru en 1984 « L’évaluation en EPS » et diffusé sur l’ensemble du territoire. L’appareil docimologique passe d’une évaluation essentiellement quantitative, au cours de laquelle la performance est comparée par rapport à des normes nationales (cf. tables et barèmes Letessier), à une évaluation qualitative, au cours de laquelle la performance est jugée au regard des produits et des processus des apprentissages. La performance ne se résume ainsi plus à une exécution de gestes et techniques issus du haut niveau et ne s’évalue plus en fonction des dons et des capacités développées hors de l’école.
Au-delà de la certification, les enseignant·es d’EPS développent ou renforcent l’idée de la nécessité de l’évaluation formative, partie intégrante de l’acte d’enseignement et d’apprentissage. D’ailleurs, il est intéressant de noter que les instructions officielles de 1985 relatives à l’enseignement de l’EPS avaient généralisé en 6ème et 5ème la co-évaluation (élèves/enseignant·e) et l’auto-évaluation.
La performance ne se résume ainsi plus à une exécution de gestes et techniques issus du haut niveau et ne s’évalue plus en fonction des dons et des capacités développées hors de l’école.
Au cours de cette décennie qui a vu une multiplication des réflexions professionnelles sur l’évaluation et la certification, l’EPS reste, à part entière, prise en compte pour l’obtention du brevet des collèges. Après l’organisation d’épreuves ponctuelles et référées à des barèmes de performance nationales, le principe du contrôle continu (CC) se généralise et s’officialise en prenant en compte « ce qui s’apprend » et « ce qui s’enseigne » en EPS. Les progrès et l’investissement des élèves font alors leur apparition dans l’évaluation.
Nous pouvons alors affirmer que les années 80 furent prolifiques en termes d’expériences, de réflexions et de propositions sur l’évaluation tant dans sa dimension certificative que formative, avec l’objectif permanent de la démocratisation de la culture sportive et de la réussite de tous et toutes.
Une profession et son syndicat qui pèsent sur les débats et les orientations dans les années 90 et au début du 2nd millénaire.
L’évaluation prend de l’ampleur dans le quotidien des enseignant·es d’EPS, elle accapare souvent leur conscience professionnelle. Afin de réaliser des évaluations les plus objectives possibles, d’être justes et de prendre en compte ce qui a été appris (maîtrise d’exécution et performance), la profession invente et popularise des outils tels que les nomogrammes.
En 1996 paraissent les premiers programmes EPS pour le collège qui sont le résultat d’un compromis entre l’IG ou les tenants du formalisme et le SNEP-FSU ou les tenants du culturalisme. Le cadre des programmes est défini en finalités éducatives (santé, solidarité, sécurité, responsabilité, autonomie et citoyenneté), en objectifs généraux (développement organique et foncier, acquisition de savoirs qui constituent le patrimoine
culturel des APSA, gestion de sa vie physique aux différents âges de la vie) et en compétences générales, propres aux groupes d’APSA et spécifiques aux APSA. La discipline EPS est à la fois constitutive (compétences spécifiques) et contributive à la formation du·de la citoyen·ne L’évaluation au DNB prend en compte la performance, la maîtrise, les progrès, l’investissement des élèves et les rôles sociaux (aide à la pratique, arbitrage, gestion des rencontres…). Aussi, des documents d’accompagnement présentant des compétences spécifiques à acquérir dans différentes APSA vont-ils paraître et compléter les programmes. Ils apparaîtront comme des outils intéressants pour la profession et constitueront de fait le vrai programme…
En somme, les enseignant·es d’EPS évaluent ce qu’ils enseignent au quotidien (techniques sportives et artistiques) malgré l’introduction de diverses compétences qu’on appellera bientôt méthodologiques et sociales.
Exclusion de l’EPS via le « socle Fillon » de 2005 : la profession résiste !
Le projet de loi élaboré par le ministre F. Fillon exclut l’EPS du « socle commun de connaissances et de compétences » et la rend facultative pour l’obtention du DNB. La profession se mobilise en signant massivement la pétition du SNEP-FSU « Pas d’éducation sans EPS » (450 000 signatures !). L’EPS sera ainsi rétablie dans les épreuves du DNB, mais le vote de la loi entérine l’absence de l’EPS dans le socle de 2005 et du livret personnel de compétences (LPC) instauré en 2009-2010. La pression exercée par l’inspection sur les enseignant·es d’EPS est forte pour opérer le glissement d’une discipline centrée sur des apprentissages dans des APSA diversifiées vers une EPS centrée sur les « éducations à la santé, le bien-être, la citoyenneté… ». La profession résiste à ces injonctions, souvent en s’opposant clairement et parfois en procédant à des adaptations entre ce qu’ils (les collègues) disent faire et la réalité (fossé entre les propos et la réalité de terrain). Le législateur est d’ailleurs contraint de définir des compétences attendues nationalement dans le texte de 2008 qui serviront de références pour les évaluations formatives et la certification jusqu’en 2015.
Notre discipline perd peu à peu sa dimension constitutive (culture des APSA, techniques, tactiques…) pour être réduite à une simple activité contributive au bien-être des élèves.
Transformation profonde et mortifère pour l’EPS en 2016 : une EPS marginalisée et fragilisée au sein du système éducatif
La réforme du collège de 2016 pilotée par N. Vallaud-Belkacem s’inscrit en rupture idéologique avec l’orientation prise par son prédécesseur V. Peillon qui insistait sur l’accès à la culture commune, sur la fin de la hiérarchisation des disciplines et sur la rupture avec l’opposition stérile entre connaissances et compétences. Cette réforme, massivement contestée par la profession, modifie en profondeur le DNB avec une part d’évaluation en contrôle continu des domaines du « socle de connaissance, compétence et culture » et d’autre part, une évaluation finale de certaines disciplines dont est exclue la discipline EPS entre autres. Notre discipline est alors assignée au renseignement du controversé livret de compétences appelé LSU puis LSUN, synonyme pour nombre de collègues d’usine à cases absurde, déconnectée du terrain. Ses savoirs spécifiques ne sont plus pris en compte pour l’obtention du DNB.
Notre discipline perd peu à peu sa dimension constitutive (culture des APSA, techniques, tactiques…) pour être réduite à une simple activité contributive au bien-être des élèves, à leur santé et au climat propice aux apprentissages fondamentaux (lire, écrire, compter, respecter autrui…). Parallèlement, les programmes EPS, écrits sans prise en compte réelle des avis du SNEP-FSU et de la profession et dans l’urgence, sont vidés de leurs contenus culturels sportifs et artistiques et perdent leur caractère national. En poursuivant cette orientation, le risque est grand de transformer les enseignant·es d’EPS en professeur·es « locaux·ales » de « compétences sociales et méthodologiques » ou encore de « santé, responsabilité, autonomie, citoyenneté… ». Dans ce cas, l’évaluation pourrait être réduite à une batterie de tests de capacités physiques ou à un ridicule et néfaste jugement sur le comportement (cf. note de vie scolaire) !
Vers une alternative : un changement de cap s’impose
Pour le SNEP-FSU, soucieux de réduire les inégalités sociales, de développer les capacités physiques de tou·tes les jeunes et de former des citoyen·nes « sportif·ves » critiques, il est urgent de reconnaître l’importance de l’EPS à l’école. Les enseignant·es, quant à eux·elles, partagent cette urgence et ne s’abandonnent pas au simple et réducteur renseignement des domaines du socle. Il·elles continuent à transmettre des savoirs et donc des pouvoirs d’agir à leurs élèves dans les APSA qu’il·elles enseignent. Répondre à cette nécessaire reconnaissance passe notamment et conjointement par l’identification de savoirs exigeants à acquérir/transmettre sur tout le territoire et par la création d’une épreuve physique d’EPS au DNB. Quatre raisons guident nos revendications :
- Nous considérons, contrairement à l’institution, que plus les savoirs sont de haut niveau, plus ils nécessitent le besoin de l’autre pour apprendre, qu’ils exigent d’observer, de réfléchir à sa pratique et de s’approprier des méthodes. Autrement dit, la dimension éducative de l’EPS sera d’autant plus importante que les contenus à s’approprier seront exigeants !
- Nous pensons qu’une discipline qui n’évalue plus ou peu les acquisitions culturelles risque de perdre sa légitimité aux yeux des élèves et de leurs parents.
- Nous défendons l’idée qu’entrer dans une culture sportive ou artistique, y trouver du sens et de la motivation, est la meilleure façon de permettre à un·e jeune de prolonger, stabiliser et pérenniser son engagement physique aux différents âges de la vie.
- Nous rappelons que les enseignant·es d’EPS s’engagent quotidiennement pour assurer leurs missions de service public de l’éducation. À ce titre, ils visent l’acquisition de savoirs exigeants pour tou·tes leurs élèves quel que soit leur origine sociale et territoriale.
Popularisons et expérimentons à grande échelle les propositions de programmes alternatifs et de certification du SNEP-FSU
Le préambule des programmes et les fiches APSA que vous trouverez dans cette publication sont d’une part à expérimenter, discuter et amender et d’autre part serviront de base aux discussions avec les décideurs politiques et institutionnels. Quant à l’examen du DNB, nous faisons une proposition concrète : évaluer en CCF les savoirs acquis et définis nationalement dans 3 APSA ayant fait l’objet de séquences d’apprentissage de 40 à 60 h.
Échangeons, débattons, expérimentons ces propositions pour redonner à l’EPS son utilité et son identité propre d’une discipline « à part entière et complètement à part ».